Lionel Aeschlimann : banquier d’art

Lionel Aeschlimann : banquier d’art
Tribunes

Mirabaud est l’une des principales et des plus anciennes banques privées d’une place financière historique, Genève. Elle s’est au fil du temps internationalisée avec des filiales dans près d’une quinzaine de villes dont Paris, Madrid, Londres ou Dubaï. Lionel Aeschlimann, avocat d’affaires de formation, en est depuis 2011 l’un des associés gérants. L’intérêt pour le beau fait partie des caractères distinctifs de la société, dont l’une des activités, lui permet d’investir dans des PME spécialisées dans le luxe. Plus spécifiquement, Mirabaud exerce une véritable activité de mécénat, à la fois ad extra et pour la constitution d’une collection artistique propre.

Guillaume de Sardes : Comment l’art s’intègre-t-il dans l’activité de votre banque ?

Lionel Aeschlimann : La banque a été créée en 1819 ; les fondateurs étaient protestants. Le nom même de la banque n’était pas inscrit sur la devanture, il n’y avait qu’une simple plaque à côté de la porte d’entrée de l’immeuble ! Toute une tradition de philanthropie discrète s’exprimait ainsi. Avec le temps, les mentalités ont évolué. Avec quelques autres personnes, un associé de la banque, Pierre Mirabaud, a fondé le MAMCO à Genève. Aujourd’hui, nous constituons en parallèle une collection d’entreprise. Soutenir l’art est intéressant pour nous, car il s’agit d’un domaine qui séduit notre clientèle. Surtout, l’art participe d’une ouverture sur le monde. Il bouscule nos certitudes, ce qui est précieux pour nous qui travaillons dans la finance et devons anticiper les évolutions du marché, sans souscrire aux idées communes. Les artistes sont des sismographes du temps présent.

GS : Comment constituez-vous la collection de la banque Mirabaud ?

LA : Nous la constituons dans une logique de soutien aux artistes, au sens où nous ne nous concentrons pas sur les artistes arrivés. Nous nous intéressons aussi beaucoup aux jeunes créateurs. Il s’agit d’un choix collectif associant les quatre associés-gérants de la banque. Nous prenons conseil auprès de la galerie genevoise Bärtschi & Cie, qui nous nous oriente et nous conseille sur les questions de marché, puis nous discutons entre nous. Les décisions sont les nôtres.

Bernd et Hilla Becher, « Grube Anna, Alsdorf/Aachen »

 

GS : Comment mettez-vous en valeur cette collection ?

LA : Nous l’exposons dans nos bureaux, par exemple en présentant trois ou quatre œuvres d’un artiste dans chaque salon de réception ; nous prêtons aussi des œuvres. Nous avons édité un catalogue que nous offrons à ceux de nos clients qui s’intéressent à l’art, ainsi qu’aux professionnels. Nous tenons à ce que la collection vive. Il faut la montrer, en débattre : l’art est un espace de liberté.

GS : L’engament de la banque se dirige-t-il aussi vers les musées ?

LA : Oui, nous soutenons toujours le MAMCO qui a longtemps été dirigé – de belle manière – par Christian Bernard. Nous aidons notamment le musée dans ses acquisitions. Son nouveau directeur, Lionel Bovier, qui lui insuffle une magnifique dynamique, nous a proposé une idée neuve et séduisante que nous accompagnons : durant Art Genève, le MAMCO loue un stand qui est présenté vide lors du vernissage. Le stand se remplit ensuite jour après jour au fil des acquisitions faites auprès des galeries exposantes !

GS. : Votre banque propose-t-elle des services spécifiquement dédiés aux collectionneurs ?

LA : Pas en interne, mais nous pouvons les mettre en relation avec deux galeries susceptibles d’intervenir comme conseil auprès d’eux.

GS : On parle beaucoup du Brexit, mais on oublie que la Suisse entretient des rapports parfois houleux avec l’Union européenne, notamment autour du renouvellement des passeports bancaires. Cela pourrait-il avoir une influence sur vos activités ?

LA : Pour des raisons identitaires (la Suisse s’est construite autour des mythes de la neutralité et la démocratie directe), notre pays n’a pas souhaité adhérer à l’Union européenne. Mais dans les faits, nous sommes un membre passif de l’Union européenne, dont nous intégrons à notre droit 95% des directives. La Suisse a également accepté la libre circulation des personnes, des capitaux et des marchandises. Il n’y a que sur les services où n’existe aucun accord global, d’où la renégociation périodique des passeports bancaires. Mais nos économies sont si liées (la Suisse est le troisième partenaire économique de l’Europe) que je ne m’inquiète pas pour l’avenir de nos relations.

Nan Goldin, « Lou in blue ».

 

GS : Vous-même, êtes-vous collectionneur ?

LA : Oui, je dois bien le reconnaître, puisque je n’ai plus d’espace libre sur mes murs ! (rire) Cela me permet d’aller plus loin qu’avec la collection de Mirabaud. Puisque ce sont des achats personnels, mes choix peuvent être encore plus radicaux.

GS : Que pourriez-vous nous dire des galeries de Genève ? Lesquelles fréquentez-vous ?

LA : Les galeries genevoises me semblent de très bonne tenue. J’en aime quelques-unes tout particulièrement : la galerie Bärtschi & Cie que j’ai déjà citée, grâce à laquelle j’ai pu rencontrer Nan Goldin et Wim Delvoye, les galeries Skopia, Xippas, Ribordy et Laurence Bernard, ainsi que la galerie Analix forever, dirigée par Barbara Polla. C’est là que j’ai pu acquérir une œuvre de Mounir Fatmi, un artiste que j’admire particulièrement.

Mounir Fatmi, « Casablanca »