Entretien avec Shan Weijun #2

Entretien avec Shan Weijun #2
Shan Weijun, Sonate 2. Encre de chine et pigment minéral sur toile de soie, 120 x 47 cm. (c) Galerie 208.
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Représenté par la Galerie 208, Shan Weijun est un artiste d’origine chinoise vivant à Paris. Durant trois entretiens, Orianne Castel l’interroge sur sa pratique. 

Orianne Castel : Pour ce deuxième entretien je voudrais vous interroger sur le format de vos œuvres. Je discutais avec un artiste il y a quelque temps. Il me disait qu’un format plus petit que la taille d’un homme s’adresse aux yeux et donc à l’intelligence alors qu’un format plus grand que la taille d’un homme s’adresse au corps et donc à l’émotion. Il disait que les formats à échelle d’un homme s’adressent aux deux, à l’esprit et à l’émotion. Est-ce que vous diriez ça de vos œuvres qui sont, pour la plupart, à taille humaine ?

Shan Weijun : Non car en Chine ce serait différent. Notre format de prédilection est le rouleau. Il s’adresse aux yeux mais il a d’autres spécificités. On le découvre lentement, la composition ne s’offre pas d’un coup à la vue. Le rouleau lie l’espace au temps. La question de la taille, grande ou petite, importe peu. Par ailleurs, nous n’avons pas cette distinction qui lierait les yeux à l’intelligence et le corps à l’émotion. L’œuvre du parchemin s’adresse aux yeux mais touche le cœur.

O.C : Vous parlez de rouleau de papier. Vous travaillez sur papier de riz, un support traditionnel chinois. Pourquoi ce choix, quelle est la spécificité de ce matériau, qu’est-ce qu’il vous permet de faire que vous ne pourriez pas faire avec de la toile ou du papier fait à partir d’arbres ?

S.W : Je m’inspire de la nature qui est la source de mes créations depuis des années. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi l’encre de Chine et des matériaux de Shuimo (papier de riz et pinceau) pour m’exprimer. L’encre noire est indissociable du papier chinois. L’encre semble noire au début mais, lorsqu’elle est mêlée à de l’eau, elle change de couleurs à l’infini. Les anciens disaient que l’encre se divise en cinq couleurs subtiles et harmonieuses. Quant au papier, il est complètement différent de la toile qui comporte déjà de la couleur, de l’encre. Le papier est tiède et doux. Il produit une sensation de clarté et de sérénité. Les couleurs du papier sont pour moi très importantes. De plus, son épaisseur c’est-à-dire sa propension à absorber plus ou moins l’eau et ses teintes subtiles font de lui un matériau très riche. J’ai choisi de m’exprimer ces dernières années à travers la peinture à l’encre pour pouvoir utiliser les matériaux traditionnels chinois que sont l’encre, le papier de riz et le pinceau, qui ont des caractéristiques et des significations culturelles particulières. L’encre pure dessine une partition de musique sur le papier de riz. Le cycle naturel est alors purifié et absolu. L’harmonie et l’éternité sont atteintes par le silence, la pureté, et la sérénité de l’esprit.

 

Shan Weijun, Franchir.
Encre de chine et pigment minéral sur papier de riz, 72 x 155 cm. (c) Galerie 208.

 

O.C : J’aimerais maintenant aborder vos compositions. Tout d’abord, vous créez des camaïeux de différences de tons et de valeurs. Il n’y a pas d’oppositions fortes dans vos peintures, uniquement de légères variations. Quel effet cherchez-vous à produire ?

S.W : J’ai choisi la peinture monochrome, par amour pour ces matières (pinceau, encre, papier). Cela correspond le plus à l’expression de la nature que je veux exprimer. La texture du papier est belle, elle doit parfois apparaître. J’essaie d’enlever, d’éponger, d’effacer, de laver l’encre en utilisant la sensibilité du pinceau. Avec le temps, des espaces se créent et dans cet espace progressivement les couleurs prennent place. Elles s’ajoutent au noir et au blanc et permettent des nuances. Je suis à la recherche de subtilité car je veux transmettre ce que j’ai senti.

O.C : Pour atteindre cette subtilité, vous ne dessinez pas avec des traits, vous constituez vos formes avec des points de même couleur mais dont l’intensité varie, pouvez-vous nous expliquer la raison de cette technique?

S.W : Oui, j’utilise les points parce que les points ne sont pas comme les traits. C’est important pour atteindre mon but. Le point est le plus petit élément de la matière, il est aussi le commencement de toute substance. Cela nous rappelle la poésie de la pluie printanière et la contemplation des étoiles dans le ciel. Le point est le point de commencement du sens de la vie, le lien entre le temps et l’espace dans la philosophie, et c’est aussi la matérialisation de l’esprit. C’est la raison pour laquelle il est l’élément le plus adapté pour atteindre la subtilité que je cherche.

 

L’entretien précédent est à retrouver ICI