Suites à la Suite Segond par Bernard Frize

Suites à la Suite Segond par Bernard Frize
Personnalités  -   Artistes

De 1980 à 1993, Bernard Frize, tout en travaillant parallèlement à d’autres pièces, poursuit un processus se confondant avec une succession de hasards mais qui témoigne surtout de l’attitude de l’artiste capable de les percevoir et de les perfectionner.

En 1980, il découvre une pellicule de peinture à la surface d’un pot qu’il avait oublié de refermer. À partir de ce constat, il crée la Suite Segond qui est un ensemble de tableaux présentant une juxtaposition de disques colorés qui sont en fait des pellicules de peinture prélevées à la surface de pots laissés volontairement ouverts. Cette technique inaugure un nouveau rapport à la peinture puisque de cette série l’artiste déclare : « C’est ainsi que j’ai découvert par hasard une autre relation de la couleur au dessin avec le matériau même de la peinture[1] ».

 

Bernard Frize, Suite Segond, 1980.
Acrylique sur toile, 116 x 88,8 cm.

 

Mais, après avoir réalisé cette première œuvre liant forme et matière, l’artiste modifie sa technique. En 1989, il construit un bac rectangulaire au format français « Figure », dans lequel il verse un mélange de peinture constitué d’une quarantaine de couleurs. Pendant plus d’un mois, il attend que la peinture sèche puis il appose cette peau multicolore sur une toile aux dimensions exactes du bac. Comme après ce premier prélèvement il reste encore de la peinture dans le récipient, il renouvelle l’opération plusieurs fois. C’est l’épuisement du liquide qui met finalement un terme à cette série en six tableaux. Nommée Six premières épreuves et achevée en 1990, elle se sera donc « développée » selon le terme de l’artiste, durant plus d’un an.

 

Bernard Frize, Six premières épreuves, épreuve 2, 1990.
Laque alkyde-uréthane sur toile, 80 x 93 cm.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Pendant qu’il travaille à cette série, une toile vierge qui traînait dans son atelier tombe dans le bac. Il la suspend au plafond pour qu’elle sèche et, du fait de la gravité, la matière se transforme en petites pointes. En 1991, il rejoue le processus en utilisant une seule teinte en lieu et place du mélange de quarante couleurs. Il crée ainsi Margarita qui, parce qu’elle présente une couleur unie, rend le procédé plus visible.

 

Bernard Frize, Margarita, 1991.
Laque alkyde-uréthane sur toile, 87 x 100 cm.

Enfin, pour protéger le sol de son atelier au moment où il réalise Margarita, Frize place une toile froissée sous celle suspendue au plafond. Lorsqu’il la déplie, il découvre une image en rhizomes qui lui plaît. En 1993, il reproduit le procédé ce qui donne naissance à Continent. Cependant, cette fois encore, il perfectionne la découverte initiale puisque ce tableau, disposé successivement sous une toile rouge puis sous une toile blanche, présente une composition plus complexe, faite de deux couleurs.

 

Bernard Frize, Continent, 1993
Laque alkyde-uréthane sur toile, 160 x 140 cm.

 

« Un tableau me servait d’outil pour en peindre un autre[2] » écrit Frize à propos de Continent. Ce statement pourrait s’appliquer à l’ensemble de ses œuvres développées sur plus de dix ans. Durant ces treize années, l’artiste aura regardé la peinture agir dans certaines conditions dans le but de reproduire les situations intéressantes. Les améliorant au passage, il aura fait en sorte que la matière picturale produise ses compositions à sa place.

Il y a évidemment de nombreux hasards dans cette histoire, peut-être trop pour qu’elle soit vraie, mais peu importe que le récit soit enjolivé, le travail de Frize rend palpable la peinture, non pas dans ses objectifs intellectuels comme chez Mondrian mais dans sa matérialité même et c’est physiquement que Frize nous fait sentir la spécificité de ce médium.


[1] Angela Lampe, Bernard Frize, Sans repentir, Paris, Editions Dilecta, 2019, p.36. [2] Ibid, p.72.