Pour Florence et pour Tomaso Montanari

Pour Florence et pour Tomaso Montanari
C. Corot, Florence vue des Jardins de Boboli, Louvre
Tribunes

Aujourd’hui, c’est un honneur pour tout admirateur de Florence, de son patrimoine, et pour tout ami de l’histoire de l’art, d’être aux côtés de Tomaso Montanari. Contre quoi ? Contre les menées du quérulent Dario Nardella et de sa “junte” communale. Mais qui est Nardella ? Le dauphin et le successeur de Matteo Renzi à la mairie florentine. Par contre, inutile de nous demander qui est Montanari. Les prises de positions courageuses de cet universitaire en faveur du patrimoine italien, comme lors du saccage de l’antique bibliothèque napolitaine des Girolamini, sont connues jusques en France. Et en Italie, plus célèbres encore sont ses émissions sur Rai5, ses articles dans le Fatto quotidiano et ses livres, comme le fameux À quoi sert Michel-Ange ?. Enfin, personne n’ira contester que le professeur Montanari s’illustre dans sa propre spécialité, qui est l’art baroque. 

Donc, Nardella et ses acolytes se sont pourvus en justice contre Montanari, lui réclamant la somme coquette de 165.000 euros. Pour encourir cette poursuite en diffamation “de leur image”, de quoi Montanari se serait-il rendu coupable ? D’avoir tenu publiquement ces propos : “Florence est une ville en vente. C’est une ville mise aux enchères, c’est une ville dont s’empare le plus offrant, et les administrateurs de Florence sont au service de capitaux étrangers”. Nardella et ses partisans se sont sentis calomniés lors d’un débat télévisé sur Report (RaiTre) où leurs opérations immobilières, non leurs personnes, furent mises en cause par Montanari. Faute d’avoir pu se justifier à l’écran, c’est au tribunal qu’ils ont choisi de régler leur différend sur l’expression incriminée : “être au service de capitaux étrangers”. S’il est fort douteux que la formule “au service” soit ouvertement diffamatoire comme celles, jamais employées, de “vendus” ou de “corrompus”, au-delà de la forme, c’est le fond qui mérite d’être jugé. Or le constat amenant depuis longtemps Montanari à critiquer la gestion du patrimoine florentin est partagé non seulement par l’auteur de ces lignes, modeste soutien, mais il suscite l’inquiétude d’associations culturelles de portée nationale comme Italia Nostra et Patrimonio SOS, toujours au premier rang de la préservation du territoire et des biens artistiques, de Brescia à Bari et de Milan à Messine. Ici nul complot haineux contre Florence ni contre son administration. Ce dernier point semble incontestable, puisque c’est en leurs noms propres, pas à titre de conseil communal, que Nardella et les siens portent plainte contre l’historien d’art. Ce qui leur permet de monnayer leur indignation, quitte à promettre de réinvestir “dans la culture” tout l’argent perçu… 

Prouver que ce contentieux dépasse la personne de Montanari, qui seul en fait actuellement les frais, est paradoxalement possible grâce à un communiqué de la mairie florentine du 12 juin 2020 : y sont évoqués, pêle-mêle, l’émission de Report et un recours présenté par Italia Nostra contre une dérogation au réglement d’occupation des sols de 2015, introduite par Nardella en 2018, officiellement pour favoriser l’habitat contre la surexploitation touristique dont souffre Florence. Car c’est d’une vieille question qu’il s’agit : rendre Florence aux florentins, au lieu de vendre la Ville du Lys aux milliardaires chinois, argentins et russes. Bien public contre marché privé. Certes, tout pécheur a droit à la rédemption ! Et comme Nardella a beaucoup péché ces dernières années en faveur de la marchandisation – au point que l’UNESCO elle-même s’en est émue – il lui sera beaucoup pardonné, si tant est qu’il change de politique. Ce que lui reproche Montanari, en compagnie d’autres historiens et architectes, documents à l’appui, c’est qu’un tiers environ du patrimoine florentin soit désormais dévolu au tourisme, souvent de luxe, et de façon occulte, dans la mesure où l’appellation “résidentielle”, un peu fallacieuse, englobe ce type d’activité lucrative. Or, il n’est nullement répréhensible de démontrer qu’une telle politique, inaugurée sous Renzi, a vidé Florence de ses habitants ordinaires, dépeuplé les quartiers historiques et transformé la cité des Médicis en une wedding-city pour asiatiques fortunés. Indubitablement l’idée que Florence doive se vouer au big business privé revient à Nardella, l’inventeur d’InvestInFlorence adonné au marketing immobilier de quelques joyaux architecturaux comme le Palais Vivarelli-Colonna, le Podere de Rusciano, le couvent de Monte Oliveto ou la Villa de l’Ombrellino. 

Après la vente au groupe argentin Lowenstein par le Conseil communal de Palazzo Vecchio d’une ex-caserne de 16.000 mètres carrés à Costa San Giorgio, entre Boboli et Forte Belvedere, nous touchons à un sommet en tous sens du terme. Comme pour démentir les bonnes intentions qu’il affiche en matière de logement citadin, Palazzo Vecchio, en l’occurrence, a autorisé 86 % d’utilisation touristique de très haut standing et envisage de surcroît la création, pour mieux choyer la clientèle huppée, d’un ascenseur-funiculaire exclusif enjambant la muraille des jardins de Boboli. C’est à l’enseigne d’un luxueux songe milliardaire que ce projet est né. Dans le jargon immobilier du promoteur argentin, nous assisterons simplement à “une refonctionnalisation à but réceptif” (rinfunzionalizzazione a scopo ricettivo) selon les termes déjà employés pour la Tenuta de Cafaggiolo, dans le Mugello, vénérable berceau de la famille Médicis… bientôt rénové en superluxuous resort assorti de piscines, de restaurants, de champ de golf et de club de polo. Là-dessus, les objecteurs sont-ils nécessairement des “professionnels” de la diffamation lorsqu’ils notent que d’opportunes variations d’urbanisme interviennent après la vente, très avantageuse, au groupe Lowenstein du plus bel ensemble de Costa San Giorgio ? 

J’aimerais pour finir m’élever un peu dans la signification de cette affaire. Elle me semble exemplaire, car n’est-elle pas un symbole contemporain ? Celui des nouveaux rapports de force qui s’instaurent sournoisement entre les pouvoirs sans culture et les intellectuels cultivés. Désormais, face à la dissension, beaucoup de responsables politiques ne répondent plus, ils attaquent. Ils changent l’adversaire en ennemi, d’abord pour ne pas avoir à l’écouter, ensuite pour ne plus avoir qu’à l’effrayer. Poursuivi en justice parce qu’il campe du côté du patrimoine florentin, de l’art et de l’histoire, Montanari a déjà gagné moralement contre ses accusateurs. Pour l’aider à remporter une plus large victoire, on peut signer la pétition qui suit cet appel. Par là même, on défendra une liberté critique attaquée de toutes parts. 

 

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