Revoir « Blow-up » de Michelangelo Antonioni

Revoir « Blow-up » de Michelangelo Antonioni
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A sa sortie, en décembre 1966, le film d’Antonioni, Blow-Up a été acclamé par l’ensemble de la critique comme un véritable chef-d’œuvre du 7e art. En mai 1967, à Cannes, le film remporte la Palme d’or. Son esthétique particulière, la maîtrise de chaque plan, le climat envoûtant des années 60, le fameux « Swinging London » de ces années-là, tout cela a contribué à faire de Blow-Up, un film étonnant qui continue à fasciner les cinéphiles encore aujourd’hui. Cinquante ans après sa sortie en salles, certaines voix émettent des réserves sur ce film culte. On le trouve trop daté, trop formaliste, et surtout, faisant preuve d’une violence et d’un mépris trop affiché  à l’égard des femmes. Que reste t-il vraiment de Blow-Up ?    

Thomas est un photographe à succès. Il est Anglais et vit dans le Londres psychédélique et enivrant des sixties.

Dès les premières séquences du film, on voit le jeune photographe, vêtu en clochard, sortir d’un asile de sans-abris. On comprend très vite que Thomas n’est pas un simple photographe. C’est un artiste perfectionniste et exigeant en quête de sujets originaux et qui s’implique complètement dans son travail.

Dandy tyrannique, à la manière des personnages de Barbey d’Aurevilly, Thomas n’est pas tendre pour son entourage. Toujours insatisfait, il se montre particulièrement odieux à l’égard des mannequins qu’il photographie. A l’inverse, dans la scène avec le mannequin vedette, Veruschka, il fait preuve d’une intimité presque dérangeante. Pour obtenir les meilleurs clichés, il grimpe sur la jeune fille, vêtue d’une robe qui laisse entrevoir sa nudité et la mitraille avec son appareil. La prise de photos s’apparente brusquement à une relation sexuelle torride. Une brève conversation, un peu floue, s’engage ensuite.

On s’interroge… Quelle relation lie les deux personnages ?… Le film baigne délicieusement dans un climat érotique très caractéristique des années 60-70.

Plus tard, il reçoit deux cover-girls en mini-jupes. Mais il n’a pas de temps à leur accorder. Thomas est pressé, il ne tient pas en place. Il bouge tout le temps.

Dans sa belle voiture décapotable, il parcourt un Londres étrange aux allures de province ou de banlieue ouvrière déserte. On le découvre tour à tour chez un ami peintre, puis dans un magasin d’antiquités qui ressemble davantage à une brocante. Que recherche-t-il vraiment dans cette boutique ? Le vendeur du magasin lui affirme qu’il n’a pas de tableaux à vendre, mais en cherchant bien, Thomas découvre au fond d’une rangée, des vieux tableaux couverts de poussière.

Il s’informe sur le propriétaire du magasin. C’est une jeune femme qui veut vendre son magasin car elle ne supporte plus les antiquités. Elle veut aller au Népal. Lorsque le photographe lui apprend qu’au Népal, tout est antiquité, elle hésite pour le Maroc.

Dans le film, le réalisateur nous fait passer d’un plan à un autre, d’une action à une autre, sans une véritable construction logique. Un moment, le personnage masculin s’enthousiasme pour une hélice d’avion, on ne comprend pas très bien la signification de cet élément dans le déroulement du récit.

Tout au long du film, nous sommes noyés par une masse de détails dont on ne mesure pas toujours l’importance. On pénètre dans un labyrinthe où plusieurs histoires semblent se superposer. Les conversations entre les personnages ne nous aident pas davantage, car il n’y a pas de véritable dialogue. On se pose la question… Est-ce là, le thème de l’incommunicabilité cher au réalisateur de l’Avventura ?

On se laisse emporter par la beauté des images, un peu désorienté, tout de même.

Quand Thomas pénètre dans un parc situé près du magasin d’antiquités, armé de son appareil, tel un chasseur cherchant à capturer une proie, et qu’il surprend un couple d’amoureux, on croit deviner enfin le début d’une intrigue. La femme est plutôt jeune, l’homme semble un peu plus âgé. Le couple paraît insolite dans ce parc désert. Thomas se dissimule et se met aussitôt à les photographier. Lorsque la jeune femme l’aperçoit, elle exige le négatif, mais Thomas refuse. Une brouille se produit entre les deux protagonistes. Thomas quitte le parc. La jeune femme, Jane, le rejoindra plus tard chez lui pour récupérer le négatif. Le film prend soudain la tournure d’un film policier. Qui est Jane, la jeune femme du parc à la beauté troublante ? Pourquoi insiste-t-elle tant pour obtenir la pellicule ?

Dans l’atelier de l’artiste, un rapport ambigu se noue entre les deux personnages. Jane est tendue, elle est belle et terriblement attirante. Thomas semble sûr de lui et détendu.

Après le départ de la jeune femme, Thomas développe la pellicule. Il fait une étrange découverte. Une série de plans d’une remarquable virtuosité nous font découvrir un photographe méthodique, intransigeant, soucieux de déceler le petit détail invisible à l’œil nu. Le metteur en scène focalise notre attention sur les nombreux clichés épinglés aux murs. L’agrandissement final, effectué par Thomas, révèle la présence d’un corps gisant sur l’herbe. S’agit-il d’un meurtre ?

Dans la nuit londonienne, Thomas erre dans sa luxueuse décapotable. Lorsqu’il aperçoit la mystérieuse Jane devant un guichet, il veut la rattraper. Il la perd de vue et se perd dans des ruelles mal éclairées. Il aboutit finalement dans une salle de concert, où se produit un groupe de rock. Les spectateurs ressemblent curieusement à des zombies impassibles et sans volonté. Lorsque l’un des musiciens, pris d’une rage incontrôlable, brise sa guitare et lance un morceau de l’instrument dans le public, les zombies deviennent hystériques et se disputent violemment le débris de la guitare.

Malgré sa notoriété et l’aisance dans laquelle il vit, Thomas est un artiste instable, solitaire, mal dans sa peau, qui communique difficilement avec les autres. Il ne perçoit le monde qu’à travers son objectif.

Dans les années 66-67, Londres est la capitale de la mode, les groupes de rock font fureur, les filles souriantes portent toutes des mini-jupes, Carnaby Street grouille de monde, la vie semble agréable et facile. Pourtant, Blow-Up nous présente un univers où l’ennui est très palpable, où les filles ressemblent à de beaux pantins, insaisissables, où le béton écrase l’individu, où la communication est totalement absente.

Lorsque le lendemain matin, Thomas retourne au parc, il retrouve un groupe de comédiens grimés entrevu au début du film. Ils nous font penser à la Comedia dell’arte, si chère au cinéma italien.

Dans un court de tennis, deux comédiens miment un match. Leurs camarades suivent le déroulement du jeu comme s’il s’agissait d’un véritable match.

Thomas s’approche, un sourire amusé sur les lèvres. Puis la balle imaginaire sort du court, elle roule sur l’herbe. Thomas la ramasse et la renvoie au joueur. Le match prend vie.

Entre le réel et l’imaginaire, où se situe la frontière ?

David Hemmings qui prête ses traits au personnage de Thomas, donne au jeune héros en dérive, une suffisance et une aisance qui ajoute un charme supplémentaire à Blow-Up, un film prenant, à la fois riche et déroutant.