« une écologie des images » au cœur de l’Histoire

« une écologie des images » au cœur de l’Histoire
Janet Biggs, Artic Bang, Courtesy de l’artiste
À voir

La galerie Analix Forever propose jusqu’au 1er mai 2024 une exposition explorant les dynamiques de l’écologie et les préoccupations contemporaines. Intitulée « une écologie des images », cette exposition orchestrée par Barbara Polla réunit dix-sept artistes préoccupés par les questions écologiques et s’exprimant de concert à travers les médias de la photographie et de la vidéo. Focus sur quatre d’entre eux.

 

Des images nécessaires : quand écologie humaine rime avec réalités humaines

Artistes pleinement engagés, Mario Rizzi et Frank Smith, dont les œuvres reposent sur l’exploration des réalités les plus poignantes de l’humanité, donnent à voir le réel. Ils nous livrent leur art comme un témoignage du monde et de la condition humaine.

Mario Rizzi, artiste et cinéaste italien, filme et photographie depuis les années 2000 des histoires du monde. En explorant les notions de frontière, d’identité et d’appartenance, notamment au Moyen-Orient, ses travaux mettent en lumière les histoires individuelles et collectives de populations déplacées à travers des récits intimes et personnels. Ayant étudié la psychologie avant de se tourner vers l’art, Rizzi documente la vie. Il a ainsi présenté en 2022 une exposition personnelle intitulée « Exercices d’empathie » à la galerie Analix Forever mettant en avant dix œuvres articulées autour de deux thèmes majeurs : la condition des réfugiés et le statut des femmes. Ses photographies qui plongent chaque spectateur dans un décor singulier acquièrent une portée universelle. Une œuvre de la série August 3rd est aujourd’hui présentée dans « une écologie des images ».

August 3rd ? Qui se souvient encore du massacre des Yézidis du 3 août 2014, des viols à large échelle et de la déportation de femmes yézidies ? Rizzi présente le portrait d’une femme yézidie rescapée vivant depuis lors dans un camp : le regard intrépide, le voile élégant, le visage marqué de cicatrices et les yeux flamboyants, elle témoigne par sa présence, sans un mot, de son histoire trop douloureuse pour être dite. L’écologie de cette image ? La nécessité du souvenir.

 

Mario Rizzi Untitled #3 from « August-3rd », 2016, Courtesy de l’artiste.

 

Frank Smith, fondateur du Bureau d’Investigations Poétiques, est écrivain, poète et réalisateur. À travers ses démarches artistiques et littéraires, il explore les liens entre poésie, politique et image dans des contextes de violences d’État et de violations des droits humains. Ici, Smith présente Le Film du Dehors, une œuvre abordant la violence imposée par les changements climatiques au fin fond de la Louisiane. D’une durée de 32 minutes, la vidéo se réfère au temps nécessaire pour parcourir l’île de Saint-Charles d’un bout à l’autre. Sous forme d’une multividéographie composée de neuf prises de vues, l’œuvre dévoile les paysages où réside une communauté ancestrale d’Indiens faisant désormais partie des premiers réfugiés climatiques. Le Film du Dehors transcende le simple témoignage d’artiste comme la beauté des images : c’est un acte de lutte sociale, politique, culturelle et linguistique. La présence des Acadiens – qui devient leur absence en raison de leur imminente disparition – n’est suggérée qu’au travers des sons environnants et des voix capturées dans la bande sonore.

L’écologie des images se manifeste ici dans la nécessité de témoigner mais également dans la prise en compte du temps qui s’écoule – le temps étant l’élément essentiel de toute écologie.

 

Regarder la nature, le sublime et l’alerte

Guillaume de Sardes et Janet Biggs explorent la relation intime entre l’humain et la nature qui l’entoure. Si Guillaume de Sardes célèbre la beauté des paysages à travers le lyrisme délicat de la peinture classique et des éléments naturels, Janet Biggs nous alerte sur les menaces climatiques et environnementales qui pèsent sur notre planète. Tous deux témoignent d’un monde à la beauté fragile et précieuse et au risque de disparaître.

Écrivain, historien de l’art et commissaire d’exposition français, Guillaume de Sardes est l’un des meilleurs spécialistes des Ballets russes, notamment connu pour sa biographie de Vaslav Nijinski ainsi que pour sa traduction des Mémoires de Serge de Diaghilev. En tant qu’artiste, il conçoit la photographie comme un moyen de préserver l’essence même des moments vécus, souvent fugaces, mais dont toute la grâce repose sur la sensation. Au cœur de sa démarche artistique imprégnée de romantisme, Sardes saisit le sensible. Pour « une écologie des images », il présente Alpes-Naples, un diptyque en noir et blanc composé de deux photographies séparées par une marge blanche. L’œuvre de Sardes aborde le rapport étroit entre temps présent et temps passé, offrant ainsi une vision poétique de la relation du mythe et de la réalité.

Alpes-Naples incarne l’harmonie, la beauté singulière de la nature réunissant deux environnements que le temps semble séparer. En portant la marque distinctive de l’artiste qui fusionne constamment fiction et réalité, l’œuvre oppose et rassemble deux paysages : une vue capturée par l’artiste lui-même – des nuages surplombant les Alpes – et le tableau de Carlo Saraceni, exposé au musée de Capodimonte à Naples, illustrant le mythe d’Hermaphrodite et de la nymphe Salmacis près du lac de Carie. S’inspirant des grands peintres de l’histoire, Sardes prolonge le projet de Nicolas Poussin qui accorde moins d’importance au paysage qu’à la nature elle-même et met en lumière les éléments constituant notre monde : l’eau, l’air et la terre, en cherchant à saisir ce qu’il appelle « un sentiment lyrique de la nature ». L’espace blanc de cette sublime photographie semble symboliser la rupture entre deux époques qui se réunissent dans une reconquête poétique de la nature.

 

Guillaume de Sardes, Alpes – Naples, 2013. Courtesy de l’artiste

 

Janet Biggs, artiste américaine interdisciplinaire, exploratrice et chercheuse, dévoile la splendeur de la nature à l’état brut révélant parfois des aspects méconnus du monde aux impressions mystiques. Membre de The Explorers Club ainsi que des équipes de la Mars Desert Research Station, Biggs explore les régions polaires et les zones de conflit, en collaborant étroitement avec des institutions renommées telles que la NASA et le CERN. Sa pratique artistique présente des individus dans des paysages et des situations extrêmes, tels que des explorateurs de l’Arctique ou des mineurs de soufre dans un volcan en activité. Biggs porte un regard percutant sur la relation complexe entre l’homme et son environnement.

Pour « une écologie des images », Biggs expose Artic Bang, une photographie rétro-illuminée issue de sa vidéo Warning Shot qui met en lumière le périple et les obligations des voyageurs solitaires se rendant à Svalbard, un archipel norvégien en mer du Groenland. À Svalbard, Biggs est légalement contrainte d’emporter un fusil pour se protéger des ours polaires, mais également pour appeler à l’aide, si nécessaire, en tirant un coup de semonce. L’artiste tire et notre regard suit la trace enflammée du projectile qui traverse l’image de part en part, alors que, dans l’immensité glacée de cet environnement polaire désertique, ses appels demeurent sans réponse. L’œuvre souligne les conséquences désormais inéluctables de la fonte des glaces, conséquences tant physiques que mémorielles, et notre solitude au monde. Coup de semonce tiré dans le vide, la question demeure : qui réagira, qui répondra à cet appel à l’aide ?

 

« une écologie des images » convoque donc de nombreuses thématiques politiques, sociales et environnementales. Mais n’oublions pas qu’il s’agit avant tout d’une exposition d’œuvres d’art, dont l’intelligence, le raffinement, l’ironie, la drôlerie parfois, l’inquiétude souvent, ne dissimulent jamais leur force première : leur pure beauté.