Entretien avec Shan Weijun #3

Entretien avec Shan Weijun #3
Shan Weijun, Ruissellement 2,3 et 4 2021. Encre de chine et pigment minéral sur papier.
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Représenté par la Galerie 208, Shan Weijun est un artiste d’origine chinoise vivant à Paris. Durant trois entretiens, Orianne Castel l’interroge sur sa pratique. 

Orianne Castel : Pour ce dernier entretien j’aimerais que nous nous arrêtions sur une œuvre précise et plus précisément sur une série de toiles nommée Ruissellement. Elles sont très proches en termes de composition mais de couleurs différentes. Il est difficile d’identifier le sujet, qu’avez-vous voulu faire avec ces tableaux ?

Shan Weijun : Il s’agit de cinq pierres enneigées qui symbolisent l’éternité, la dureté, le calme et le silence. Sur chaque tableau, la pierre est en partie couverte de neige, ce qui donne à l’ensemble un aspect paisible. L’eau, dans la tradition chinoise, comporte de nombreuses significations car il y a différentes formes de l’eau. L’eau des nuages, l’eau de la neige ou l’eau de la glace ne symbolisent pas la même chose dans notre tradition ancienne. En termes de couleur, la pierre est un peu sombre alors que la neige est blanche. J’ai mis en relation ces deux objets pour exprimer ce que je pense de la vie moderne. Celle-ci est issue de la tradition culturelle mais en marche vers une nouvelle époque. C’est un état transitoire qui comporte un défi… De manière générale, du physique à la métaphysique, je peins toujours avec sincérité, dans un grand respect pour la nature.

 

Shan Weijun, Ruissellement 2, 2021.
Encre de chine et pigment minéral sur papier, 132 x 120 cm.

 

O.C : Vos toiles présentent donc des pierres mais nous pourrions tout aussi bien penser qu’il s’agit de nuages. Cette impossibilité dans laquelle vous placez le spectateur de choisir entre pierre et nuage a-t-elle pour fonction de traduire cet état transitoire dont vous parlez ? D’après François Jullien, l’idée de montagne va de la base rocheuse aux brumes qui apparaissent à son sommet. La montagne en ce sens est un parcours.

S.W : Oui. D’ailleurs, très souvent, je réalise des tableaux qui oscillent également entre abstraction ou figuration. Ils peuvent être les deux. Je ne tiens pas à penser avec ces catégories quand je commence à peindre. Ne pas s’occuper de ce type de classification donne plus de liberté de penser, d’imaginer. Pour moi, la terre est un mouvement de la nature qui se perpétue. Il y a une phrase que j’aime bien dire : « la Terre ne fait qu’un avec moi et je vis en symbiose avec toute chose ». C’est cette symbiose que je souhaite transmettre et cela peut passer par une fusion entre la pierre et le nuage comme entre le figuratif et l’abstrait. Mon travail répond à une conception ternaire qui lie corps, âme et esprit. Ciel et terre ne font qu’un avec moi et je vis en symbiose avec toutes choses.

 

Shan Weijun, Ruissellement 3, 2021.
Encre de chine et pigment minéral sur papier, 132 x 120 cm.

 

O.C : Il me semble que dans la culture chinoise ciel et terre sont chacun porteurs d’énergies différentes et l’homme, intermédiaire entre les deux, puise son énergie de transmission en les réceptionnant, est-ce cela que vous cherchez à traduire ?

S.W : Je veux dire que le ciel et la terre coexistent avec moi mais que toutes les choses sont uniques à mes yeux. Avec ces tableaux qui renvoient à des périodes du calendrier chinois j’exprime ma pensée par rapport au temps, à la vie, à la nature. J’exprime l’harmonie éternelle entre l’homme et la nature, ce que j’appelle la symbiose universelle.

O.C : Vous parlez de calendrier, dans cette série il y a un tableau bleu, un gris, un vert, un rouge et un noir ; les couleurs que vous utilisez sont-elles liées à des périodes précises ?

S.W : J’ai commencé par le vert. Le rouge symbolisait l’automne, le bleu l’été. Le noir est celui sur lequel j’ai passé le plus de temps, quatre ou cinq mois. Il y a toujours une charge symbolique dans mes peintures, quand je peins des arbres, je ne peins pas des arbres de telle ou telle espèce, je le fais dans une optique d’élévation. Il y a une sorte de sublimation mais ce ne sont pas nécessairement des symboles partagés. Je choisis de peindre un arbre en poursuivant le silence et la profondeur des œuvres, en poursuivant ma recherche qui consiste à faire remonter les images spirituelles de l’œuvre.

 

Shan Weijun, Ruissellement 4, 2021.
Encre de chine et pigment minéral sur papier, 132 x 110 cm.

 

O.C : Une des raisons pour laquelle nous avons des difficultés à nommer les formes présentes dans ces tableaux, provient du fait qu’elles sont constituées de points juxtaposés. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce procédé très particulier?

S.W : En effet, même si je porte une grande attention à la structure globale, la composition, la couleur, j’utilise des petits points. Je travaille le « pointillage » sur du papier de riz qui est très fin. Je me questionne chaque jour sur la manière dont il faut agencer ces points. Je me demande si je dois en accentuer certains ou en effacer d’autres pour se rapprocher au plus près de la nature. Je cherche à trouver une vérité qui m’est propre, de façon à, j’espère, atteindre une vérité universelle. C’est la raison pour laquelle j’utilise le point qui est différent du trait. Le point est le plus petit élément de la matière, il est aussi le commencement de toute substance. Le point est le point de commencement du sens de la vie, le lien entre le temps et l’espace dans la philosophie, et c’est aussi la matérialisation de l’esprit. Il nous rappelle la poésie de la pluie printanière comme la contemplation des étoiles dans le ciel.

Les entretiens précédents sont à retrouver ICI et