Drapé pourpre sur fond or : Mohsin Taasha à la Villa Arson

Drapé pourpre sur fond or : Mohsin Taasha à la Villa Arson
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Âgé d’une trentaine d’années seulement, l’artiste Mohsin Taasha a déjà participé à la Documenta 13 de Kassel en 2012 et à la 56e Biennale de Venise en 2015. Il est actuellement en résidence de recherche et d’enseignement à la Villa Arson. Installé dans l’un des espaces de l’école niçoise, son atelier est ouvert au public jusqu’au 22 mai.

Sur les dessins et peintures, simplement cloués ou suspendus à l’aide de pinces contre les murs, le rouge domine. Les silhouettes qui y sont représentées sont enveloppées dans de longs tissus. Sans visage, elles symbolisent selon l’artiste « la figure du Wanderer [1] ». Le personnage de l’« errant » incarne les Hazaras, ancêtres de l’artiste, cherchant à fuir les persécutions perpétrées contre leur ethnie au XIXe siècle. Mais le personnage sans patrie renvoie aussi à l’artiste lui-même, exilé d’Afghanistan depuis 2021, année de la prise de Kaboul par les talibans. Longue histoire et histoire personnelle se superposent chez Mohsin Taasha, lequel emploie indifféremment le papier Wassli inventé par les miniaturistes de l’école Herat au XVe siècle et les pages de son propre passeport comme support de ses œuvres.

 

Sur les murs de la Villa Arson

 

Du génocide des Hazaras par le roi Abdul Rehman Khan il y a deux siècles aux assassinats ciblés contre cette minorité par les talibans aujourd’hui, l’histoire semble se répéter. Mohsin Taasha mêle les périodes au sein de ses surfaces en juxtaposant les extraits d’un livre d’histoire de l’Afghanistan et les drapeaux des pays impliqués dans la guerre qui s’y est déroulée de 2001 à 2021. Du passé au présent, de la guerre interne au conflit mondialisé, l’artiste fait également dialoguer planéité des tapis persans et frontalité des façades d’institutions d’états étrangers. Il place sur le même plan les arabesques d’éléments végétaux présentes sur les étoffes de sa patrie et l’architecture symétrique des pays dans lesquels il se déplace aujourd’hui.

C’est en peintre que Mohsin Taasha évoque la douleur ; la sienne, celle de ses contemporains comme celle de ses ancêtres. À ce titre, il faut noter l’omniprésence du drapé. Si ce motif artistique pratiqué depuis l’Antiquité est parfois associé à une forme d’académisme, sa longue histoire justifie son emploi ici. Couvrant le Christ dans les scènes de crucifixion, enveloppant les personnages de pleurants ou les figures de suppliantes qui parsèment l’histoire de la peinture et de la sculpture, la draperie a été associée à travers les siècles aux corps implorants, endeuillés ou martyrisés. Allégorie des sinuosités de l’âme, elle reste liée au thème de la souffrance pour nos regards contemporains.

 

Sur les murs de la Villa Arson

 

Ce n’est cependant pas l’unique raison qui justifie l’usage de ce motif par Mohsin Taasha. Le drapé couvrant le corps est ce qui le masque, le rend invisible, à l’image de la série documentaire des Migrants réalisée par le photographe Mathieu Pernot mais il est aussi ce qui manifeste la présence de l’objet qu’il entoure quand il intervient dans le processus de création comme le prouve l’œuvre du couple Christo. Cette fonction de révélation est d’autant plus vraie lorsque la draperie, traditionnellement blanche comme dans la statuaire grecque, se teinte du rouge employé par Mohsin Taasha. Couleur du sang bien sûr mais aussi couleur omniprésente dans les objets décoratifs afghans, le rouge est la couleur par excellence, celle qui attire le regard.

Que nous signale le drapé pourpre de l’artiste? La présence d’un corps solitaire couché et inerte, de corps prostrés plus nombreux mais séparés les uns des autres, d’une foule compacte de corps debout et en mouvement. Mohsin Taasha nous expose la douleur sous toutes ses formes et nous ne pouvons pas détourner les yeux.

[1] Entretien entre l’artiste et Éric Mangion, mai 2022.