Dans la grotte aux images

Dans la grotte aux images
À voir

À quelques minutes de marche de la plage de Saint-Ennogat, à Dinard, s’ouvre grande sur l’océan l’anfractuosité de la « Goule aux fées ». La légende veut que les frères Lumière, encore adolescents, y aient scellé le pacte d’alliance qui devait donner naissance à toute la production moderne de l’image. Ces sorciers de l’âge industriel prenaient ainsi la place des « bonnes dames » chères à l’imaginaire celte. Pierre-Jérôme Jéhel, professeur aux Gobelins et Dinardais émérite, s’est emparé de ce mythe fondateur et a conçu autour de lui, dans le cadre très élégant de la Villa des Roches brunes, au-dessus de la plage de l’Écluse, une exposition très originale, aussi intelligente que sensible. Comme les cavernes peintes de la préhistoire, Chauvet ou Lascaux, sont à l’origine de tout ce que l’Occident appelle « art », pourquoi la Goule aux fées ne serait-elle pas le lieu secret où s’est inventé le régime moderne d’iconicité? Une grande abondance et une grande variété de photographies explorent cette fascinante hypothèse. Tous les points de vue, toutes les techniques, participent à une ronde autour du mythe, selon trois temporalités emboitées. 

Au commencement étaient deux frères, deux enfants encore, pris par la marée montante dans un creux sombre qui avait déjà retenu l’attention de Jules Verne. Mais ce lieu hors du monde, cette entrée des Enfers, était aussi mondain que possible, au sens proustien du terme. Il s’inscrit dans la topographie d’une station qui connaît à la Belle époque un apogée représenté par l’extraordinaire « photorama » de la grande plage de Dinard en 1901, illustration rêvée d’un épisode balnéaire de La Recherche. À distance, enfin, son examen méthodique, en notre XXIe siècle, est l’occasion de toutes les expérimentations visuelles et techniques, des projections en tous genres, dans la fidélité à la prodigieuse inventivité technique des frères Lumière.

La modélisation graphique de la grotte, à l’exemple de ce que pratique l’archéologie de pointe, laisse pourtant un peu indifférent, alors que les procédés plus anciens se révèlent d’une fécondité et d’une séduction inentamées. La technique de l’autochrome, élaborée par les Lumière et savamment révélée dans l’exposition, déploie aux Roches brunes toutes ses potentialités. Et les photogrammes aux couleurs doucement passées, au grain merveilleux, d’un film que P.-J. Jéhel a voulu développer au coeur même de la grotte devenue laboratoire, renvoient aux premières tentatives d’un cinéma dont le XXe siècle a fait son emblème. Peut-être faut-il alors retenir, avec Michel Poivert, que la science préhistorique et la photographie sont exactement contemporaines et que la spéléologie a été un « accélérateur technique de la photo », notamment en hâtant la découverte de  l’éclair de magnésium. Autant de retours à l’origine – origine du monde, origine de l’humanité, origine de la modernité – qui scandent une belle méditation bretonne, modeste d’apparence mais secrètement ambitieuse, à laquelle on a plaisir à se livrer, dans la lumière douce d’une après-midi d’été. 

La caverne des Lumière : une origine du monde des images, Dinard, Villa des Roches brunes, jusqu’au 26 septembre. – Catalogue publié sous la direction de P.-J. Jéhel aux éd. Filigranes, 2021.