Un musée renouvelé pour Dijon

Un musée renouvelé pour Dijon
À voir

Après un long, très long chantier, le Musée des Beaux-Arts de Dijon, l’un des plus riches d’Europe, vient de rouvrir ses portes. « Un musée métamorphosé », affirme la campagne de promotion : c’est exact. Le visiteur familier de l’ancien circuit peine un peu à se retrouver dans un bâtiment entièrement restructuré par le studio Lion et où seules les magnifiques échappées ménagées sur le paysage urbain permettent de savoir exactement où l’on est. On retrouve bien, à l’arrivée, le solennel escalier du Musée d’antan, mais ensuite l’essentiel des circulations a été repensé à nouveaux frais – y compris par rapport à la présentation découverte en 2013 après la première tranche de travaux. On avait pu croire, par exemple, que la Galerie de Bellegarde, rendue à son volume d’origine, resterait destinée à la Renaissance italienne : rien de tel, elle abrite désormais les trésors de Champmol, en prélude à la Salle des Tombeaux. Les salles sous comble d’abord affectées au Moyen Âge sont en revanche devenues italiennes ! Le merveilleux « Moïse sauvé des eaux » de Véronèse, vieil habitué de l’étage noble, a l’air tout chose d’avoir été monté si haut…

C’est que la nouvelle organisation du Musée de Dijon est rigoureusement chronologique, de l’Antiquité au XXe siècle. Le résultat est assurément très didactique, avec d’heureuses trouvailles. Que faire par exemple des pièces archéologiques, importantes mais éparses, que possédait cette collection généraliste ? Une première salle sur « L’Antiquité source d’inspiration » résout intelligemment le problème. De même, à l’autre bout du parcours, la salle consacrée à l’historicisme au XIXe siècle, autour du délicieux « Louis XIII enfant » de Rude, est bien inspirée. Entre les deux, une des salles les plus séduisantes pour l’historien est l’espace documentaire consacré à la Chartreuse de Champol ; une remarquable aquarelle de Fyot de Mimeure montrant la destruction du monastère, les pleurants néo-gothiques retirés des tombeaux, les grands tableaux de Restout et de Van Loo commandés sous l’Ancien régime pour moderniser le décor sont autant de pièces précieuses pour l’histoire du goût. On notera que l’ancienne Salle du Chapitre de la Saint-Chapelle n’a pas eu cette chance : dépouillée de ses oeuvres, elle n’offre qu’une vague introduction à l’histoire du Palais, hors du circuit principal. Le choix est à tout le moins discutable. Plus généralement, la grande richesse du Musée de Dijon est aussi un danger potentiel : 50 salles, c’est beaucoup pour le touriste de passage, surtout dans un bâtiment où l’on ne cesse de monter et descendre. Ne serait-il pas opportun de  baliser un « circuit découverte » et un « circuit approfondissement » permettant des rythmes de visite adaptés ?

Reste que, comme tout nouvel accrochage, la « version 2019 » du musée bourguignon est l’occasion de redécouvrir des oeuvres de grande qualité. Citons, presque au hasard, un « Saint Jean endormi » en bois du sculpteur bâlois Martin Hoffmann (début XVIe s.), une sacra conversazione de Giovanni di Asola où le tissu vert moiré derrière la Vierge à l’Enfant est absolument fascinant, une charmante ronde d’enfants de Rottenhammer (c. 1600), jusqu’à une acquisition toute récente, le « Credo » d’Alphonse Legros, dont la lecture reste mystérieuse – tout cela, bien sûr, sans parler des chefs d’oeuvre bien connus qui font la légitime réputation de l’établissement. Une des forces de la nouvelle présentation est aussi la belle et juste place accordée aux artistes bourguignons. Grégoire Guérard, récemment étudié par F. Elsig, est désormais trois fois présent aux cimaises. Les oeuvres de Nicolas de Hoey sont adéquatement rassemblées. De Quantin, le fond gris pâle des salles XVIIe fait parfaitement ressortir l’admirable saint Bernard. Une curieuse « Présentation de la Vierge avec saints » du chalonnais Vincent Plassard, entrée en 2002, mérite l’examen, tout comme la belle « Agonie du Christ » de Le Bault, provenant de Saint-Bénigne. Tout près, une vitrine bien conçue rend à Jean Dubois (dont un récent colloque a repris l’étude) la place majeure qui lui revient : le modello de la Visitation suffirait à lui seul à désigner un très grand. Plus loin, la salle 37, « Paysages bourguignons et comtois », constitue un écho bien venu à l’exposition organisée sur ce thème en 2002 et met en pleine lumière Félix Ziem, Jean-Jean Cornu, Charles Ronot ou Jean Laronze.

On ne sera pas aussi enthousiaste sur un moment fondateur, au sens le plus strict du terme : l’École de Dessin du XVIIIe siècle, dirigée par Devosge, dont les collections ont donnée naissance au Musée (comme le rappelle l’excellent ouvrage L’Art des collections, issu de l’exposition commémorative de 2000 – et que, sauf erreur, la librairie du Musée ne propose pas !). L’École est évoquée dans un corridor, où les tableaux sont mal accrochés ; le très beau « Jeune homme lisant » de Gagneraux, placé très bas entre un placard et une porte, méritait mieux ! Bien sûr, juste après vient le Salon Condé, où les mêmes artistes sont à l’honneur – mais d’où a disparu le portrait de Rameau, transféré dans un décor de salle à manger reconstituée dont il n’est pas certain qu’il soit d’un goût parfait. Dans le même ensemble, la salle 28, présentée comme consacrée au néo-classicisme, est bien mal nommée : ni « La chercheuse d’esprit » d’Attiret ni les scènes galantes de Trinquesse n’ont la mâle austérité propre au néo-classicisme. Ici, il est évident que la nécessité de conserver dans leur intégrité le Salon Condé, la Salle des Statues et la Galerie des grands formats ont compliqué le travail professoral des concepteurs. Avec le XIXe siècle en revanche, on retrouve la rigueur d’exposition d’un projet véritablement encyclopédique, qui méritera d’être vu et revu pour être saisi et jugé à la hauteur de son ambition.

(à suivre)