Saintes images au Musée de Metz

Saintes images au Musée de Metz
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Il n’est pas fréquent qu’un projet universitaire aboutisse à une exposition de grand musée. C’est pourtant ce qui se produit à Metz, où le beau Musée de la Cour d’or accueille une remarquable installation d’œuvres médiévales et modernes évoquant les aspects de la vie religieuse le long de la « dorsale catholique » européenne, un axe héritier de l’ancienne Francia media, rejoignant le pays de Turin à celui de Liège par la Savoie, la Comté, la Lorraine. Cette perception originale de l’espace culturel et cultuel avant et surtout après la Réformation a servi de guide à un ambitieux programme de recherche, porté par l’Université de Lorraine, qui offre non seulement des publications savantes à la communauté des historiens mais aussi, à destination du grand public, une exposition aussi raffinée que pédagogique. Une centaine d’objets, généralement peu connus voire inédits, dont certains ont été restaurés pour l’occasion, sont ainsi rassemblés à Metz grâce à la générosité de 37 collections françaises et étrangères.

 

Clef de voûte avec la Vierge de l’Apocalypse, vers 1375, Metz. Musée de la Cour d’or. Cliché Laurianne Kieffer.

 

Le nouvel accueil du Musée de la Cour d’or, vaste, clair et singulier avec ses anciennes étagères de bibliothèque, donne accès à une « salle apéritive » où des pièces principalement statuaires introduisent à la diversité thématique, géographique et chronologique de l’exposition. Jamais la volonté d’introduire aux structures et aux pratique d’un monde dévot ne se paie par le recours au banal. Aux confins des arts et traditions populaires pour certaines (le délicieux S. Bernard de Menthon tenant un démon en laisse ou la joviale Ste Agathe du Musée lorrain), d’une étonnante perfection formelle pour d’autres, les pièces exposées sont toutes, sans exception, d’une indiscutable qualité. Dès cette première salle, une Madeleine au pied de la Croix venue de Lunéville contribue, avec d’autres, à placer l’exposition sous le signe de l’élégance.

 

Statue-reliquaire de St Martin, 1612, propriété de la commune de Vrécourt (Vosges). Cliché Laurianne Kieffer, Musée de la Cour d’or. 

 

L’espace principal est une galerie aménagée avec un goût parfait, où l’on se déplace d’une cellule thématique à l’autre, imitant en quelque sorte le pèlerin qui allait d’Einsiedeln à Montaigu de Brabant, du suaire de Besançon à celui de Turin, accrochant à chaque fois à son chapeau ou à son rosaire ces « enseignes » qui tenaient lieu de souvenirs pieux. La scénographie, sobre et efficace, joue sur les transparences pour mettre en lumière et en ombres savamment dessinées des images qui donnent à connaître les acteurs et les objets de ce que Louis Châtelier nommait pour l’âge classique « l’Europe des dévots ». Elle permet une vraie proximité avec les oeuvres, présentées à hauteur de regard et visibles sous toutes leurs faces.

 

Statue-reliquaire de St Ours, avant 1481, Aoste. Cliché Assessorat à l’Éducation et à la Culture de la Région autonome du Val d’Aoste.

 

L’histoire commence tôt, avant l’an mil, et les médiévistes seront heureux de voir dans les meilleures conditions les objets de l’exceptionnel « trésor de saint Gauzelin », habituellement cachés dans la sacristie de la cathédrale de Nancy. Relevant encore de l’orfèvrerie, la statue-reliquaire de saint Ours, venue tout exprès de la collégiale d’Aoste, impressionne par sa qualité. Les visiteurs qui ont gardé un beau souvenir de l’exposition parisienne sur l’art au temps de Charles VI regarderont avec plaisir une curiosité de ce XVe siècle si imaginatif, un « repos de Jésus » en argent avec grelots et accessoires… Les amateurs d’énigmes, de leur côté, seront plus d’une fois sollicités ; ils pourront par exemple se demander qui est cette sainte femme couchée sculptée dans le bois : une Vierge de la Dormition issue d’un groupe perdu ? Une nonne inconnue ? Plus classiques mais non moins beaux, des saints, des Vierges, des Crucifixions, de bois, de pierre, de métal, de textile ou de parchemin, tissent la toile d’un âge de Chrétienté où les supports de dévotion occupaient non seulement les églises mais aussi les maisons et l’espace public. 

 

« Repos de Jésus », début du XVe s., Musée des Arts anciens du Namurois. Cliché KIK-IRPA, Bruxelles.

 

Cette exposition très réussie, accompagnée d’un excellent catalogue, n’appelle en somme qu’une discussion, qui porterait sur son titre : le « christianisme » qui y est mobilisé est une notion bien vague, et surtout bien abstraite. Or il n’est rien de moins abstrait que la production iconographique du long âge chrétientaire, tel qu’il est étudié à Metz. Et il n’y a certes pas lieu de s’en étonner, dans un système religieux dont le fondement est l’incarnation. Le vrai thème de la collection éphémère du Musée de la Cour d’or est donc, plus que l’« art sacré » en général, la dévotion incarnée au coeur de l’Europe médiévale et moderne. On gagnera à admirer, pièce à pièce, cette brillante démonstration de la cohérence d’un objet historique et de la richesse de ses variations.

 

Splendeurs du christianisme : art et dévotions, de Liège à Turin, Xe – XVIIIe s., Metz, Musée de la Cour d’or, jusqu’au 27 janvier 2019.