« Manifesto », un film manifeste

« Manifesto », un film manifeste
À voir

Avant de devenir un film, Manifesto est une installation de l’artiste allemand Julian Rosefeldt. Présentée la première fois en 2016 au Museum für Gegenwart de Berlin, elle se présente sous forme de treize écrans diffusant en boucle des films de 10 minutes. Treize vidéos comme autant de saynètes, dans lesquelles Cate Blanchett incarne tous les rôles.

Tour à tour sans-abri, chorégraphe ou mère de famille, l’actrice ne s’exprime que par des extraits de manifestes issus des mouvements artistiques du XXème siècle. Entourée de figurants muets au sein d’un décor léché, elle porte simultanément les voix du situationnisme, du mouvement Fluxus ou du Pop Art. Transposés dans la vie quotidienne de ces personnages caricaturaux (la mère de famille est une femme au foyer, la chorégraphe est excentrique, le sans-abri alcoolique) ces textes déclamés sur un ton théâtral perdent leurs sens, se transforment en paroles absurdes. Ces vidéos autonomes se superposent en un instant, celui ou les différents personnages interprétés par l’actrice se mettent à chanter leur texte, créant une chorale surréaliste.

Cate Blanchett.

 

L’assemblage des vidéos en un unique film fait disparaitre ce procédé intéressant du dispositif initial. En revanche, la disparition des légendes et des documents qui accompagnent souvent la présentation de l’installation justifie à lui seul l’existence de cette seconde version de l’œuvre tant il en modifie la portée. Sans texte mis à sa disposition, le spectateur n’est plus dans une démarche d’apprentissage, il n’est plus tenu d’associer à ces monologues le Manifeste blanc de Lucio Fontana, le No Manifesto d’Yvonne Rainer ou le Je suis pour un Art de Claes Oldenburg. Sorties de l’institution muséale, déconnectées de leurs contextes, ces théories reprennent vie.

À cela s’ajoute le rythme qu’impose le format film. Les vidéos ne sont pas présentées les unes à la suite des autres mais s’entrecroisent à différents moments donnant une dimension répétitive aux actions quotidiennes et accentuant par contraste l’impériosité des manifestes. Alors que se répètent les scènes de journaux télévisés, de repas ou de leçons de classe, les manifestes gagnent en intensité, affichent leur fureur. Au présent codifié s’oppose la pensée en mouvement. Cette nouvelle proposition, loin d’appuyer sur l’absurdité des manifestes, met en avant la fougue nécessaire de ces textes dont l’ambition était de créer un nouvel art et du même coup d’éradiquer celui en vigueur. Elle pointe la distance qui sépare notre société de celle des artistes d’hier, oppose notre résignation à l’ambition qui était la leur.

Plus que sur le contenu, c’est sur la dimension engagée de ces textes que cette version cinématographique insiste. C’est cet engagement essentiel que le film communique au public, non pas à la manière d’un manifeste, mais subtilement, en l’incarnant dans différents personnages types de notre société actuelle. Ce passage sur grand écran offre à Manifesto une nouvelle audience,  renouvellement du même coup sa charge critique.