Reena Spaulings récidive à la galerie Hussenot

Reena Spaulings récidive à la galerie Hussenot
The Family Guns, Reena Spaulings @ Hussenot gallery, Paris, 2025, installation view
À voir

C’est la deuxième fois que Reena Spaulings, collectif néo-conceptuel et galerie affutée de New York, investit la galerie Hussenot pendant la semaine parisienne de l’art contemporain. [1] Entre les deux, une exposition précédente avait présenté le travail d’Emilie Sundblad, peintre, chanteuse et cofondatrice de la galerie du Lower East Side.

La nouvelle édition s’intitule The Family Guns – littéralement « les armes de Famille » : une exposition collective réunissant des artistes de la galerie et plusieurs invités, pensée comme une déclaration de filiation, néo-conceptuelle et résolument punk.

Reena Spaulings est né en 2005, dans le sillage de Bernadette Corporation, collectif pluridisciplinaire, fondé dans les années 1990, mêlant anonymat, humour et critique sociale, et inspiré à la fois par Roland Barthes, la culture visuelle, et par les mouvements situationniste et punk. Le collectif écrit alors le roman « Reena Spaulings » à plus de cinquante mains, en référence aux méthodes scénaristiques de la machine hollywoodienne. Le personnage éponyme, jeune femme fictive, évolue dans la scène artistique new-yorkaise des années 2000, et le roman est publié par Semiotext(e), la maison d’édition fondée par l’universitaire Sylvère Lotringer, proche du collectif. Reena Spaulings devient aussi le nom d’une galerie – Reena Spaulings Fine Art – menée par les artistes Emily Sundblad et John Kelsey, membres du collectif. Elle représente notamment les artistes Merlin Carpenter, Jutta Koether et Klara Lidén.

The Family Guns s’ouvre sur une affiche en noir et blanc, composée de photographies individuelles de chaque protagoniste exposé – une référence à Talents (1986) de David Robbins, série photographique emblématique, réunissant des figures majeures du courant néo-conceptuel, de Jenny Holzer à Steven Parrino.

L’affiche introduit un premier espace chaleureux, articulé autour d’une cuisine américaine, où se côtoient un collage digital de Richard Hawkins et un ready-made de DeSe Escobar – reproduction miniature peinte en jaune du panneau en néon situé à l’entrée de Las Vegas, disposée ici dans un petit mausolée en bois.

Une seconde affiche, cette fois imprimée sur des cartes postales, reprend une peinture d’Emily Sundblad. On y reconnaît son trait naïf, et sa palette de couleurs, douces et vives, dominée par des tons rouges et bleus, caractéristiques.

La salle principale de la galerie Hussenot s’étend sur un vaste espace blanc traversé par une mezzanine. S’y succèdent une sculpture brutaliste de Marie Angeletti, des peintures abstraites de Jutta Koether, un cylindre en béton marqué de peinture jaune fluorescente signé Klara Lidén, une toile sculpturale en tissu à l’aspect organique de Morag Keil, des compositions techno-abstraites de Jacqueline Humphries ainsi qu’une fresque angulaire de Peter Fischli représentant des locomotives enfantines dans les tons roses – œuvre que l’on retrouve également sur le stand de la galerie Buchholz à Art Basel Paris.

À l’étage, une télévision en forme de pomme verte dotée d’un écran minuscule, réalisée par Marc Kokopeli, diffuse un soap. Une photographie d’Isabelle Huppert, au regard nonchalant, prise par Heji Shin, surplombe l’ensemble.

The Family Guns agit, avec humour, comme un manifeste. Un ralliement familial appelant à une résistance artistique et formelle. Et quelle famille : Kim Gordon, Albert Oehlen, Richard Prince, et John Waters – représenté par la galerie Tenko Presents – sont également exposés.

Pas de texte curatorial explicatif, ni de littéralité évidente. Le style comme langage d’exposition.

S’il n’y avait qu’une seule exposition à voir cette semaine, ce serait celle-ci.

On s’étonne que les formes renouvelées de l’art post-conceptuel, bien qu’elles aient instauré une certaine autonomie vis-à-vis de l’institution, s’exposent principalement dans les galeries d’art. Quelle place accorder à cette avant-garde historique en mutation constante ? Elle évolue en parallèle des programmations institutionnelles, au sein d’un réseau de structures indépendantes – galeries affutées, foires d’art contemporain et centres d’art – souvent basées entre New York, Berlin et Zurich.

Alors que le Palais de Tokyo inaugure l’exposition Echo Delay Reverb – Art Américain, Pensées Francophones, consacrée à l’interprétation des écrits post-structuralistes français – dits de la French Theory – par des artistes américains, on se réjouit d’y retrouver des exemplaires de la revue éponyme éditée par Sémiotext(e).

Mais on se demande aussi pourquoi Bernadette Corporation et Reena Spaulings ne figurent pas dans l’exposition. C’est pourtant la même constellation – la même famille – celle où ces collectifs polymorphes ont littéralement fait leurs armes.

« The Family Guns » présenté par Reena Spaulings à la galerie Hussenot, jusqu’au 22 novembre 2025

 

 

[1] Gauthier, Michel, « Néo Conceptuels : La redistribution des rôles », art press, avril 2009