Rebeyrolle à Eymoutiers

Rebeyrolle à Eymoutiers
Visuel créé par l'Espace Paul Rebeyrolle pour ses trente ans.
À voir

Pour l’anniversaire des 20 ans de la mort de l’artiste, une visite s’impose à l’Espace Paul Rebeyrolle d’Eymoutiers (87). Ce musée, dont l’artiste voulait faire non pas un mausolée mais un bastion hors norme, est doté d’un fonds de 80 œuvres allant de la toile Nus au Poêle réalisée en 1948 à celles de sa dernière série Néants effectuée 2005.  Les tableaux, pour la plupart immenses, répercutent, de sujet en sujet, de murs blancs en murs blancs, une même vision du monde, incontournable. Depuis le 24 mai  l’accrochage propose des peintures relativement peu vues grâce aux prêts de collectionneurs privés.

Paul Rebeyrolle (1926-2005) est un peintre sculpteur qui passe sa jeunesse en Limousin. Enfant fragilisé par une tuberculose osseuse, il peint et dessine beaucoup. Libéré de ses plâtres, il arpente la nature, obtient son bac de philosophie avant de rejoindre Paris à 18 ans. Immédiatement, il se tient au fait de l’art du moment. Il s’installe à La Ruche, lieu emblématique du 15e arrondissement où se retrouvent, depuis sa fondation en 1895, des artistes venant d’ailleurs et souvent peu argentés. Il participe à la dynamisation du lieu avec ses compères « misérabilistes » en ouvrant l’espace aux arts du spectacle mais surtout en jetant les bases du nouveau réalisme. Il va même jusqu’à participer au pamphlet brutal contre l’art abstrait dominant : le Manifeste de l’homme témoin.

Peintre figuratif, Rebeyrolle est un homme politiquement engagé. À la Libération, il adhère au Parti Communiste qu’il quitte en 1956 à cause de l’invasion de la Hongrie par les troupes soviétiques et de la position du Parti sur la guerre d’Algérie. Il continue cependant à s’indigner des aberrations du monde. Les titres des sujets qu’il traite en témoignent. À partir des années soixante, il privilégie le travail en séries et donne à chacune d’elles des titres partisans comme Guérilleros 1967-1968, Le Monétarisme 1997-1999, ou encore, Natures mortes et pouvoir 1975-1977. Visant à faire de la peinture d’histoire, un peu comme Gustave Courbet à qui il rend un hommage direct à travers certaines toiles, il tient aussi à témoigner du vécu des humains assujettis comme dans la série Les Prisonniers 1972 commentée par Michel Foucault. Il rend aussi hommage à leur résilience. Le Sac de Madame Tellikdjian 1983 est attribué à sa belle-mère mais il est celui de tous les immigrés qui y enfouissent les quelques reliques à valeur sentimentale de leur passé. Enfin, il ne délaisse pas les dérives de la science comme en témoigne l’une de ses dernières séries Les Clones 2001-2003.

Au-delà de son expression sociale, Rebeyrolle aime aussi rendre compte de la nature. Au début des années 1960, le peintre quitte Paris pour vivre et travailler à la campagne, dans l’Aube puis en Côte-d’Or dans un petit village à la lisière de la Champagne. Cette semi-retraite, car cette campagne n’est pas loin de Paris, lui permet de mieux penser le monde. Elle lui donne peut-être aussi l’occasion de ressentir la douceur des terres cultivées et par contraste la puissance inflexible de nombreux paysages limousins. Quoi qu’il en soit, après la série les Sangliers en 1971, Rebeyrolle s’attaque à celle des Grands paysages en 1978 et à celle des Arbres en 2000 en proposant d’entrer en contact avec les forces qui animent cette nature.

Rebeyrolle est un artiste expressionniste et, en ce sens, les thèmes qui le touchent sont premiers. Cependant, en tant que peintre, il reste à l’écoute des évolutions de son médium. Figuratif en opposition à l’abstraction, il s’est forgé un style en phase avec son époque.

Comme Robert Indiana, Jack Youngerman, Vardea-Mavromichali, Tawney, Jasper Johns et Robert Rauschenberg au Coenties Slip à New York, Rebeyrolle et quelques autres peintres comme Spoerri, incluent, à Paris, divers matériaux à leurs toiles, employant des éléments naturels et des éléments industriels. »

Dans ce recours à des éléments extérieurs à la peinture, Rebeyrolle est attentif à son choix de matériaux. Il semble les rechercher plutôt que se fier au hasard car souvent ils lui servent à renforcer le propos du tableau. Ce sont les branches, les mousses qui sont privilégiées dans les tableaux de nature, le grillage dans les tableaux de prisonniers. Il innove également dans la façon de traiter ces objets rapportés, jouant de leur adéquation au sujet mais adaptant également les formes à leur présence. Comme le souligne le critique et historien de l’art Philippe Dagen ce ne sont par exemple pas des tissus qui habillent les corps mais les corps qui emplissent les tissus.

Enfin, les tableaux composés sont immenses, inévitables, plaçant le regardeur face à une représentation répétée de la dureté du monde. Une grande partie des toiles politiques suggèrent le minéral et ses propriétés irréductibles, même le sympathique Suzanne au bain n’y échappe pas. Le ressenti est souvent direct, quasi physique. D’autres œuvres font cependant, de façon plus explicite, appel à l’intellect du spectateur et renvoient par des métaphores animales aux travers de l’humanité. Enfin, les tableaux s’adressent parfois à la sensibilité affective. D’apparence beaucoup plus gaie, la série Madagascar piège l’attrait pour l’exotisme du spectateur. En s’approchant, il découvre, malgré les belles couleurs, un univers toujours sans concession.

Il ressort de l’ensemble de cette figuration parfois brutale une interpellation de chacun.  Aujourd’hui où l’art majoritairement promu est souvent politique et écologique, Rebeyrolle, par son approche si particulière, devient une référence incontournable. Un déplacement en Limousin s’impose donc pour cet accrochage-événement qui correspond  aussi avec les 30 ans du musée !