Joanna Malinowska à Genève et Paris

Joanna Malinowska à Genève et Paris
Joanna Malinowska, Ode to impatience. Céramique, métal, cuir, corde, tissu abrasif Courtesy Analix Forever, crédit photographique : Guillaume Varone Vue partielle de l'installation.
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Avec « A Forest of Mental Ashes » (Genève) et « Possible Era Of Decline, PEOD » (Paris), Joanna Malinowska poursuit son travail poétique et conceptuel.

Joanna Malinowska (Biennale du Whitney 2012 ; Pavillon polonais de la Biennale de Venise, avec CT Jasper, en 2015 ; Triennale de Bruges 2021 ; participation à « Opéra Monde » au Pompidou Metz, sous le commissariat de Stéphane Ghislain Roussel ; dans les collections du FRAC Franche-Comté et de nombreux musées internationaux…) crée des installations, des sculptures, des vidéos, des performances et des œuvres sur papier qui sont le fruit de recherches d’une gamme de sources historiques, littéraires, artistiques et anthropologiques qu’elle utilise pour poser des questions ouvertes sur l’identité nationale, le colonialisme et la création artistique. « Mes matériaux de sculpture préférés sont les chocs culturels », dit-elle.

Elle a réalisé un buste de Meret Oppenheim couronné d’une coiffe haïtienne en boue (un dialogue avec la précurseuse surréaliste des combinaisons insolites) ; mis en scène Halka, « opéra national » polonais, à Cazale, un village haïtien peuplé par les descendants de soldats polonais qui ont combattu aux côtés des Haïtiens alors qu’ils avaient été envoyés pour réprimer la révolution haïtienne en 1802-1803 ; déplacé à Bruges une réplique d’une statue réaliste érigée en 1953 dans sa ville natale de Gdynia, en Pologne, pour commémorer l’alliance soviéto-polonaise. À travers la citation et la délocalisation, Malinowska expose les étrangetés et les absurdités de nos milieux sociaux et politiques et incite le spectateur à reconsidérer les croyances, les structures et l’esthétique fondamentales qui façonnent la culture dans laquelle il vit.

Elle revient aujourd’hui à Genève, à Analix Forever, où elle a exposé pour la première fois en 2005. Vingt ans plus tard, elle propose « The Forest of Mental Ashes » (ash, en anglais, est aussi bien la cendre que le frêne…), un ensemble d’œuvres nouvelles et récentes, ainsi que quelques projets plus anciens, des œuvres et des thèmes qui continuent de résonner et de revenir comme des boomerangs.  « Cette exposition, dit l’artiste, est comme un retour aux sources après des décennies d’errance. »

Les références musicales sont essentielles pour Malinowska, et plus particulièrement Beethoven, Messiaen, John Cage et Glenn Gould. D’ailleurs, Glenn Gould habite la galerie, ou plutôt l’histoire de Glenn Gould inventée par l’écrivain autrichien Thomas Bernhard dans Der Untergeher : trois pianistes se réunissent dans une maison dans une forêt, dont Glenn Gould. Quand il se met à son piano, il est constamment distrait par un frêne qui balance ses branches de l’autre côté de la fenêtre… Le frêle Glenn Gould décide alors d’aller abattre le frêne, seul avec sa hache et sa scie ; il hache le bois menu, le range sous l’auvent, retourne enfin à son piano, pour réaliser qu’il aurait simplement pu, en réalité, tirer les rideaux… En découle une série de neuf dessins, intitulés His Worshippers Worship a Phantom – tel un story-board qui, avec toute l’ironie de l’artiste, donne donc le titre à l’exposition : « A Forest of Mental Ashes », dans laquelle on trouvera aussi les Dents du braconnier et le Cercle de la Vie.

 

Joanna Malinowska, N° 8 (d’une série de 9 dessins), His Worshippers Worship a Phantom, 2017. Aquarelle et crayon, dessins encadrés par l’artiste, 44 x 54 x 5 cm, pièce unique,
Courtesy Analix Forever, crédit photographique : Guillaume Varone

 

L’œuvre Ode to impatience réunit, à Paris comme à Genève, des multiples objets, instruments, couteaux, haches, flèches… en céramique. Des haches dont les lames sont parfois teintées de sang, mais si fragiles. Une œuvre à la fois conceptuelle, évoquant les tensions constantes du monde dans lequel nous vivons, l’impatience de les régler à coups de haches – et matiériste, avec toute la patience nécessaire à travailler la matière séculaire de l’argile, de la terre… La terre qui compose les Mud Cakes aussi, pour que nous n’oubliions pas que la terre, pour certains d’entre nous, est la seule nourriture possible, et que, dans ces lieux qui nous semblent éloignés, les habitants cuisent des gâteaux de boue, pour les manger ensuite. Les Mud Cakes de Malinowska ressemblent à des masques et sont ornés de rubans de couleur, en une délicate transformation que l’artiste a recherchée : une indispensable transformation.

À Paris, la présentation-performance de Joanna Malinowska s’intitule « Possible Era Of Decline ». Malinowska explique : « PEOD est un concept que j’utilise pour réimaginer le moment présent comme un modèle fragmentaire dans un tissu beaucoup plus grand de civilisations en déclin, en reviviscence et en « renaissance », les effusions de sang, les revers de fortune, les cathédrales, les déclarations de guerre, les déclarations de paix et les hurlements des loups de Tchernobyl qui se promènent librement dans l’Eden radioactif. L’ère possible du déclin est cette explication que je me donne lorsqu’un ami m’appelle pour me parler de Nibiru, une planète du Système solaire qui n’a pas encore été découverte mais qui est connue de l’humanité depuis l’astronomie babylonienne. Elle devrait entrer en collision avec la Terre dans les prochains mois. »

Enfin, l’œuvre vidéo plus ancienne de Malinowska est également très présente dans les deux expositions, avec notamment The Revolution of celestial spheres et Man in the state of nature. Elle montre que si l’artiste n’a cessé d’évoluer formellement, c’était pour mieux approfondir ses questionnements sur notre monde.