Expositions à rebours. Entretien avec Adrien Abline

Expositions à rebours. Entretien avec Adrien Abline
Photographie non contractuelle de la salle des coffres yonnaise.
Meta  -   Exposer l'exposition

Pour sa rubrique « Exposer l’exposition », Art Critique interroge ici un projet singulier dans lequel le lieu, le temps et les modalités de monstration sont radicalement réorganisés. Avec 33³, Adrien Abline a orchestré plusieurs cycles d’expositions non-visibles, organisées dans un coffre-fort bancaire, dont le seul témoignage subsiste dans un catalogue édité après coup. Cette conversation propose d’interroger ce que ce projet fait à l’exposition elle-même — à ses conditions, à ses récits, à sa mémoire.

 

Projet : 33³, cycle de 12 expositions non-visibles (2016–2017) et ses autres cycles (2017-2021)
Lieu : un coffre-fort loué dans une banque à La Roche-sur-Yon
Commissaire et témoin unique : Adrien Abline
Support de monstration : un catalogue publié a posteriori

 

Exposer le lieu (caché)

Orianne Castel : Pour commencer, pourriez-vous décrire précisément ce qu’était le projet 33³ ? Où cela se passait-il ? Combien d’expositions ont été organisées ? Qu’est-ce qui faisait, pour vous, exposition dans ce cadre très particulier ?

Adrien Abline : 33³ vient d’une drôle de réflexion. Je me suis rendu compte que, lorsque je n’avais pas vu une exposition ou un événement de manière générale, je faisais plus attention à sa date et/ou à sa durée. Alors que finalement, lorsque j’étais présent ou que j’avais habité ponctuellement une exposition ou vécu l’événement en question, je pouvais facilement me tromper d’année à ce sujet… Bref, 33³ est un projet d’expositions particulier. Un projet qui se plie à une contrainte forte, celle de produire des expositions qui ne seront pas vues.

En l’espace d’une année, du 26/03/2016 au 26/03/2017, un coffre-fort situé dans une banque à La Roche-sur-Yon a été loué et transformé en lieu d’exposition. Durant cette période, j’ai invité douze artistes, et douze expositions monographiques (d’un mois environ) ont été produites. La programmation était visible sur mon site internet. On pouvait (et peut toujours) lire le nom de l’artiste, le titre de son exposition et sa durée. Le jour où l’exposition débutait, la page était actualisée avec les nouvelles informations. Rien de plus. À la suite de ce cycle d’une année, le catalogue 33³ a été édité avec pour objectif de représenter les expositions passées.

En tout et pour tout, quatre cycles d’expositions ont suivi ce processus « expositions dans un coffre-fort pendant un an puis édition d’un catalogue représentant les expositions » : 33³, , X³ 2 – Saison 1 et X³ 2 – Saison 2. Pour chaque nouveau cycle d’une année, je louais un autre coffre-fort pour brouiller les pistes et peut-être aussi inquiéter les agents bancaires. (rire) Pour, du 26/03/2017 au 26/03/2018, sept expositions se sont succédé dans un nouveau coffre-fort. Le catalogue relate à son tour ces sept expositions. Dernier catalogue édité en 2021, le catalogue X³ 2 – Saison 1 met en page le cycle du 23/06/2018 au 23/06/2019 avec ses sept expositions. Le dernier cycle, X³ 2 – Saison 2, du 01/02/2020 au 01/02/2021, n’a pas de catalogue et reste à jamais inachevé.

Rappelons que les règles de location du coffre ont toujours été tenues ! Sauf exception. (rire) Personne à part moi-même ne pouvait être présent lors de l’ouverture du coffre dans la salle des coffres et donc voir son contenu. Aussi, très important, en accord avec le contrat de location du coffre-fort, les expositions n’ont été ni vues, ni photographiées. Les catalogues relatent sous d’autres moyens de représentation que la classique « vue d’exposition » le résultat de ces événements cachés.

O.C. : Le lieu choisi – un coffre-fort bancaire – est à la fois réel, inviolable et mentalement très chargé. Qu’est-ce que cela change, selon vous, d’exposer dans un espace que personne ne voit, et qui n’a pas été conçu pour accueillir des œuvres ?

A.A. : Un coffre-fort est en fait plutôt prêt à accueillir des œuvres. Les conditions de conservation y sont optimales et il y fait frais toute l’année. Les plus grandes œuvres sont déjà passées par la case coffre-fort ! (rire) Mais oui, c’est un lieu très chargé. Beaucoup de fictions (de type “braquage”.) se sont jouées dans une salle des coffres. C’est même devenu un genre en soi. Après, ce qui m’intéressait, c’était bien sûr le défi de produire des événements au sein de ce lieu. D’essayer de produire une histoire et même une mémoire d’un lieu caché. Mon intention était de jouer de cet imaginaire et de déclencher des fantasmes chez les artistes que j’invitais. Moi, au contraire, j’étais là pour démystifier ce lieu. Par exemple, je pense à l’exposition de Lisa Lavigne, intitulée Théories du chaos (cycle 33³). Elle m’avait demandé de déposer dans le coffre une collection de billes (soit une première denrée dûment gagnée et fruit de nos premiers échanges dans la cour de récré) et, en les déposant, je me suis aperçu que le coffre loué était bancal ! C’est aussi ce genre de détail qui peut-être échappe à notre pensée qui me plaisait. J’étais content d’être surpris et de partager cette petite découverte. Je pense aussi à l’exposition METAL HURLANT (cycle 33³) de John Cornu. John avait confectionné un lingot à partir de cartouches et de douilles d’armes à feu. Un lingot dans un coffre, cela sonne bien. En déposant ledit lingot dans le coffre, j’ai été surpris de son poids et j’ai rayé le sol du coffre. Heureusement pour moi, il n’y a pas eu d’état des lieux au moment de la remise des clefs à la fin de la location. (rire)

On peut dire que j’étais dans une pratique de l’ordre de « l’indiciel ». Par exemple, 33³ correspond à la taille du coffre-fort mais il n’y a pas d’information supplémentaire donnée sur sa hauteur, sa largeur et sa profondeur. Pour les autres cycles, je suis d’ailleurs passé au nom pour donner encore moins d’informations et inviter d’autant plus à la projection. Petit indice, les formats des catalogues imprimés étaient eux en correspondance avec la forme des coffres loués…

O.C. : À quel moment ce coffre-fort est-il devenu pour vous un espace d’exposition ? Ce glissement du lieu fonctionnel vers un espace d’art s’est-il joué dans le contrat ? Dans le rituel d’accès ? Dans le regard que vous avez projeté sur lui ?

A.A. : J’ai travaillé dans une banque plus jeune, et l’espace de la salle des coffres (toujours situé au sous-sol avec une grande protection) m’a toujours fasciné. Je voulais moi aussi y mettre un pied et avoir comme un secret à garder. D’ailleurs, il faut savoir que, pour accéder à son coffre, il faut être accompagné d’un agent bancaire dans la salle des coffres. C’est lui qui déverrouille la porte blindée de la salle pour qu’on y rentre, et il doit insérer une clef pour ouvrir le coffre. Les coffres ont tous deux serrures : une clef appartient à la banque et l’autre vous est cédée le temps du contrat. Donc l’agent tourne sa clef puis c’est au tour du client. Le coffre est maintenant déverrouillé et l’agent doit quitter la salle des coffres avant que le client ouvre son coffre pour respecter son droit à la confidentialité. C’est un rituel très particulier. Et, pour garder ce jeu de cache-cache toujours excitant, jamais les membres de la banque n’ont été informés que mon coffre-fort était devenu un lieu d’exposition. Mais je sais qu’à plusieurs reprises, ils se sont demandé ce qu’il s’y passait ! (rire)

 

Photographie du catalogue 33³
Photographie du catalogue 33³

 

Exposer à rebours

O.C. : Vous présentez 33³ comme un projet “à rebours”. À quel moment, dans ce dispositif, commence réellement l’exposition ? Est-ce au moment du montage, de l’annonce en ligne, de l’écriture du catalogue… ?

A.A. : Tout d’abord, je suis le spécialiste du compte à rebours ! (rire) Je suis l’auteur d’une thèse sur le sujet et ce projet s’est greffé à ce travail de recherche. Si cela vous intéresse, l’ouvrage Décomptes aux éditions Jannink en est une traduction livresque.

Pour moi, l’exposition était à rebours car révélée par son catalogue. Il y avait des indices présentés sur le site internet mais c’est le catalogue qui présente (et non représente). Le projet January 5 – 31 (1969) de Seth Siegelaub est très inspirant, en cela que accompagné de la fine équipe (composée de Robert Barry, Douglas Huebler, Joseph Kosuth et Lawrence Weiner), il souhaitait que le catalogue ait la primauté sur l’exposition présentée. Une inversion de la présentation/représentation.

Ici, l’exposition débutait dès le coffre. C’est un processus qui avait pour finalité la retranscription mais les participants avaient déjà en tête – dès l’exposition dans le coffre – le travail de mise en page. Nous sommes plus dans la constitution d’une histoire en deux actes que dans une inversion posant la question d’un “qui compte plus que qui”.

Ce travail insistait sur une mise en intrigue (inhérente à une œuvre non-visible). Le rebours, c’est de manière assez simple un saut dans la fiction. Lorsque vous suivez le rythme d’un décompte, vous êtes tout de suite dans une attente où la réalité – avec tous ses imprévus – devient une sorte de spectacle.

O.C. : Dans 33³, le catalogue ne vient pas simplement après l’exposition pour en garder trace — il en est presque l’unique scène visible. En quoi cette inversion modifie-t-elle notre manière de concevoir ce qu’est une exposition ?

A.A. : Le catalogue de 33³ apparaît comme la révélation des événements passés. La lecture du catalogue peut être considérée comme la vraie exposition. Le catalogue se suffit à lui-même mais est devenu (pour moi) un objet à commenter. C’est même plutôt un projet oral car, lorsque vous êtes face au catalogue (en tant que spectateur), rares sont les artistes qui ont décidé de préciser avec exactitude le résultat de leur exposition. Beaucoup ont même présenté des choses totalement éloignées ! (rire) Moi, je suis là pour revenir sur tout cela entre anecdotes et storytelling. Je joue le rôle de passeur, de témoin. Je pense que cette inversion permet d’une part de comprendre qu’une exposition ou qu’un événement en est un s’il y a témoignage et d’autre part de voir l’importance que nous donnons à la représentation d’une exposition. Je me suis souvent dit que certaines de ces expositions non-visibles avaient été plus racontées et avaient plus marqué que d’autres visibles.

Ce processus m’a aussi permis de tenter des expositions non réalisables autrement. Par exemple, celle intitulée Collection et Série Noire (cycle ) de ██████ ███████ (soit un artiste dont j’avais caché l’identité). Pour cette exposition, j’avais déposé dans le coffre ma collection de plusieurs éditions des polars Les magnolias sont rouges et À 4 pattes dans les Carpates de la fameuse Série Noire. Pourquoi ces livres ? Je vous laisse mener l’enquête. (rire)

O.C. : L’annonce périodique sur votre site web posait une attente — sans jamais rien montrer. Que permet, selon vous, cette attente prolongée ? Pour vous, pour les artistes, pour les lecteurs du catalogue ?

A.A. : En effet, une première attente était posée dans l’annonce qu’une exposition avait lieu sur une durée déterminée. Les suiveurs du projet étaient donc mis au courant que quelque chose était en marche. Et cette durée d’exposition a aussi été, à de nombreuses reprises, entreprise ou investie par les artistes. C’est en effet quelque chose qui me tient à cœur – et cela a été aussi en jeu pour certains exposants -, c’est que je considère (ou j’espère) que le temps d’une exposition soit un temps où quelque chose peut se passer. Je pense par exemple à l’exposition Audience (cycle X³ – SAISON 1) de Dominique Blais où j’ai déposé dans le coffre un dispositif d’alarme jouant Le Beau Danube bleu de Johann Strauss de manière quotidienne pendant toute la durée de l’exposition. L’idée était d’attendre que quelqu’un de la banque s’en rende compte, enquête pour finalement m’appeler. Mais je n’ai jamais eu d’appel ! (rire) Peut-être que finalement personne n’a entendu ou que personne n’était jamais là au bon moment.

Aussi, l’inscription des événements sur le site permettait d’insister sur la réalité de l’événement car personne n’est obligé de me croire ! (rire) Je me souviens encore de ma surprise et de mon embarras quand un artiste que j’avais invité m’avait gentiment fait savoir qu’il était persuadé qu’il n’y avait pas de coffre-fort et que ce n’était pas grave. Ce n’était sans doute pas grave pour lui mais pour moi ça n’aurait plus eu aucun sens. Il n’y aurait plus eu de surprise, plus de rituel dans la salle des coffres où, de manière assez magique, je me disais qu’il allait se passer quelque chose.

Il y a cette citation de Robert Smithson à propos des salles de cinéma que je trouvais assez proche de l’expérience vécue. « Le confinement des corps dans une salle obscure, semblable à une boîte, conditionne indirectement l’esprit. Même l’endroit où l’on achète son billet s’appelle un “box-office”. Les halls sont généralement pleins d’appareils en forme de boîtes, comme le distributeur de boissons, le comptoir à confiserie ou les cabines téléphoniques. Au cinéma, le temps est comprimé ou suspendu, ce qui place à son tour le spectateur dans une condition entropique. Passer du temps au cinéma, c’est faire un “trou” dans sa vie[1] ». Ce trou dans la vie, je crois que c’était ça.

 

Photographie du catalogue X³
Photographie du catalogue X³

 

Exposer sans voir

O.C. : Vous insistez sur le fait que les œuvres n’étaient pas invisibles, mais cachées. Pourquoi cette nuance vous semble-t-elle importante ? Qu’est-ce qu’elle engage dans la réception : le désir de voir ou la confiance du spectateur ?

A.A. : Je préfère ne pas utiliser le mot invisible. Les expositions n’étaient pas invisibles, elles étaient cachées. Déjà, le fait de cacher exacerbe toujours le désir de voir. Et puis, je pensais toujours à un possible intrus, à un braqueur ou une braqueuse qui pouvait s’introduire dans la salle des coffres et dérober tout ce qui s’y trouvait. Au fond, je m’attendais à un public inattendu et plutôt zélé ! (rire) Pour lui ou pour elle, je m’appliquais d’autant plus à la mise en place d’une belle scénographie. Il y a bien sûr la relation de confiance que je voulais créer avec les exposants et potentiellement avec le futur public. Et puis, je ne sais pas bien mentir. (rire) Je pense que, si je n’étais pas aussi appliqué à réaliser ce travail et habité par l’envie de bien tout faire, le projet se serait arrêté tout de suite. Je me dis aussi que, quand les choses sont cachées, un jeu commence et on se dit que ça vaut le coup de chercher.

O.C. : Au fil du projet, les expositions semblent se fondre avec leur récit. Peut-on encore distinguer, dans le cycle 33³, ce qui relève de l’œuvre, de l’exposition ou de sa mise en intrigue ?

A.A. : Au fond, je pense qu’une œuvre vit de ses récits. Là, les œuvres fusionnent avec des récits. Déjà, œuvre et exposition étaient confondues et, en plus, l’exposition pour être partagée doit être lue et devenir le fruit d’une conversation.

Pour répondre à votre question, je pense finalement que cela dépend des expositions réalisées. Les artistes pouvaient ne pas avoir l’ambition de créer un récit. Ils relevaient ce défi et se nourrissaient de ce qui avait été réalisé avant eux.

Mais, quand je dévoile ce projet, les expositions se fondent dans une histoire plus grande. La fusion entre “exposition et récit”, c’est finalement mon travail ou ma faute. (rire)

O.C. : Le catalogue a quelque chose d’un livre d’histoires, entre fiction, document et témoignage. À quelles formes curatoriales ou éditoriales avez-vous voulu échapper avec ce dispositif ?

A.A. : Aujourd’hui, il est tout à fait normé de visionner des photographies d’expositions sur les réseaux et de se dire que cela peut suffire. “Je l’ai vue sans y être allé”. Et parfois, osons le dire, la photo peut être beaucoup plus intéressante que l’expérience de nos yeux sur le lieu. (rire) J’enfonce des portes ouvertes. L’idée était de sortir de cet automatisme de la photo-type. Je me répète, il est interdit de prendre des photographies dans la salle des coffres. De manière assez paradoxale, ces expositions cachées insistent d’autant plus sur une expérience, des obstacles, des défis pour finalement se raconter.

En tout cas, ce projet me permettait aussi de rencontrer des artistes que peut-être je n’aurais pas rencontrés autrement. C’était l’occasion de les mettre (un peu) au défi et de leur proposer une carte blanche. J’échappais au réflexe de dire « j’aime bien cette pièce, on l’expose ? ». Là, ça n’avait pas d’intérêt. La grande part des expositions a finalement mené à la production de nouvelles pièces. C’était pour moi une chance de rentrer en discussion avec les auteurs et de les accompagner dans leur processus créatif singulier.

 

Photographie du catalogue X³ 2 (Saison 1)
Photographie du catalogue X³ 2 (Saison 1)
Œuvrer l’exposition

O.C. : Vous êtes le seul à avoir vu les expositions. Cela fait de vous à la fois le commissaire, spectateur et narrateur. Comment avez-vous pensé cette position très singulière ?

A.A. : Au fond, un commissaire est toujours un passeur. Ce n’est pas lui la star. (rire) Ce projet permet toutefois de mettre en avant l’importance du témoignage. J’accompagnais, j’étais à l’affût d’un accident lors des événements et je devenais une sorte de fabulateur une fois les expositions terminées. À l’aide de tous les éléments produits, les rencontres et autres accidents, j’essaie de faire croire. Convaincre ? C’est trop pour moi. (rire) Mais donner envie d’y croire et donner l’envie à d’autres de partager le projet, comme on se réapproprie une anecdote.

O.C. : Vous citez Jean Norton Cru et son exigence de témoignage rigoureux. En quoi cette posture s’applique-t-elle, selon vous, au commissariat d’exposition ?

A.A. : J’ai énormément de respect pour l’enquête de Jean Norton Cru qui s’est posé la question de la véracité des témoignages de soldats, lui-même ayant été soldat pendant la Grande Guerre. Pour faire bref, il s’est rendu compte que les témoignages de la guerre venaient souvent de personnes haut placées et donc qui ne connaissaient pas la réalité des tranchées (ou en étaient éloignées) ou alors que la vie des soldats était totalement mystifiée par la fiction et la propagande. Il s’est alors demandé : « Qui croire ? ».

Au fond, le parallèle se fait ici car la salle des coffres est elle aussi mystifiée de fictions, sans image et remplie de secrets. Jean Norton Cru a alors eu cette belle expression qu’il récuse de « vérité inventée ». Moi, j’essaie au contraire d’en produire car je suis dans le témoignage et la mise en récit. Je ne dis pas que je mens car je m’efforce au plus que je peux à ne dire que la vérité néanmoins je propose un sens de lecture. J’assume pleinement que certains événements m’intéressent plus que d’autres et que c’est ceux-là que je choisis de partager.

O.C. : Enfin, vous êtes également artiste. 33³ est-il, pour vous, une œuvre à part entière ? Et comment concevez-vous ce geste consistant à faire œuvre à partir des œuvres des autres, ou à les inclure dans une forme qui devient aussi la vôtre ?

A.A. : On m’a souvent dit que ce sont des expositions d’artistes. J’ai toujours pris ça du bon côté. (rire)

En tant qu’artiste, je considère ce travail comme une œuvre en soi. Une œuvre collective. Ces questions du collectif et de la fiction sont des sujets piliers de ma pratique. Ça a été l’occasion de jouer d’un espace réel et imaginaire à la fois. Et, comme vous l’avez entendu, l’humour est au centre du projet, et je me rends compte que cela dirige aussi un trajet ou des récits que j’essaie d’agréger. Comme dans d’autres de mes projets. L’humour, c’est la surprise et parfois l’inattendu qui surgit. Rire, c’est une réaction où je me dis : « là, il y a quelque chose à creuser ». Il y a d’ailleurs plusieurs rires. On rit lorsqu’on est gêné, étonné ou même déçu.

Mon travail de dévoilement, de diffusion ou de mise en confidence a fait de moi une sorte d’historien-initiateur. C’est aussi tout un travail de mémoire. Aujourd’hui, je vous ai parlé de certaines expositions mais un autre jour c’est d’autres événements qui me viendront en tête et que je partagerai. Cela me fait penser à la conception de l’art de George Kubler qui proposait les œuvres comme des signaux. Des signaux comme des étoiles ou des clignotants qui brillent en fonction de résonances, que nous pouvons associer ensemble telle une constellation, et qui échappent à une vision historique chronologique un peu fade. J’aime aussi dire qu’un artiste crée sa propre histoire de l’art pour constituer une pratique personnelle et je crois que les expositions dans ces coffres ont contribué à la mienne.

 

 

[1] Robert Smithson, « L’Entropie et les nouveaux monuments » [1966], traduit de l’anglais (États-Unis) par Caroline Anderes et Vincent Barras, dans Valérie Mavridorakis (dir.), Art et science-fiction : La Ballard connection, Genève, Mamco, 2011, p. 188