« Engagées » à la Fondation Villa Datris

« Engagées » à la Fondation Villa Datris
Sylvie De Meurville "Lac Tchad" (vue partielle) 2020. Acier inoxydable. 240 x 140 x 130 cm. Courtesy de l’artiste
À voir

La nouvelle exposition de la Fondation Villa Datris vient d’ouvrir : « Engagées ». Artistes engagées. Femmes engagées. C’est dans l’air du temps, certes, mais pour la créatrice du lieu, Danièle Marcovici, c’est depuis toujours : « Engagées » fait ainsi écho, douze ans après, à l’exposition fondatrice de 2013, elle aussi consacrée aux femmes sculptrices, en tenant pleinement compte de l’évolution du monde, des artistes et du féminisme. Quelques mots-clés entendus de la bouche des artistes mêmes lors de l’ouverture de l’exposition : équilibre, élévation, liberté, dignité, vulnérabilité, armures, colère, affronter

À l’entrée de la maison – de ce palais de l’art qu’est la Villa Datris – de même qu’à sa sortie côté jardin, quatre caryatides imaginées par Céline Cléron portent sur leurs épaules notre quotidien de femmes, le quotidien des travailleuses et des migrantes. Ce qui pèse, au fil des siècles. Dans le jardin, à l’accueil, l’immense chaussure à talon faite de casseroles de Joana Vasconcelos nous fait sourire bien sûr, alors que l’œuvre de Sylvie de Meurville nous emmène loin, très loin… Le Lac Tchad, par son « dessin dans l’espace » comme le décrit l’artiste, rend certes compte des préoccupations écologiques actuelles, du dessèchement en particulier, mais surtout, il nous renvoie à nous-mêmes, à l’eau qui nous constitue (≈ 70 % de notre corps est de l’eau), qui nous tient debout, qui nous fait danser, à la vie à la mort à l’amour, jusqu’à plus soif… Le Lac Tchad de Sylvie de Meurville danse bel et bien, je l’ai vu !

Mâkhi Xenakis, elle, dans ce que l’on serait tenté d’appeler la « crypte » de la Villa, évoque par ses sculptures « le plus grand lieu d’enfermement de femmes de l’époque de Louis XIV à celle de Charcot, jusqu’à 8 000 femmes enfermées, ensemble : les mendiantes, les folles, les épileptiques, les adultérines, les orphelines, les juives, les protestantes, les aveugles, les crétines », nous donc, nous femmes « hors normes »… On frissonne. Et même si la forme sculpturale, en réalité, se passe du propos qui la sous-tend, il faut lire Les Folles d’Enfer (Actes Sud, 2020) pour comprendre la totalité de l’engagement de Mâkhi Xenakis. L’artiste précise cependant : « Ce travail ne parle pas de la prison, mais de la liberté ».

 

Mâkhi Xenakis « Les folles d’enfer de la Salpêtrière » (vue partielle), 2004. Ciment armé teinté, bande son. 186 x 200 x 145 cm. Courtesy de l’artiste

 

Anila Rubiku elle aussi s’intéresse à la liberté en passant par la case prison. Elle a notamment organisé des workshops dans la prison Ali Demi / 325 à Tirana, pour des femmes emprisonnées, des femmes battues qui ont fini elles aussi par battre et abattre, en l’occurrence leur mari. Anila Rubiku est tellement « engagée » qu’elle engage même parfois ses propres deniers pour pouvoir réaliser ses workshops et rémunérer les femmes emprisonnées, pour les remercier de l’inspiration qu’elles lui apportent. En effet, l’artiste transpose ensuite l’histoire de chacune de ces femmes en un « portrait » sous la forme d’une grille de prison tordue ou découpée de façon en s’en échapper. La simplicité de la forme contraste avec la complexité du thème abordé.

Dans le jardin, une œuvre particulièrement intrigante de Katia Bourdarel, intitulée Emzara, du nom de la femme de Noé, considérée comme source matricielle de vie, revisite pour nous le mythe de l’Arche. Mais l’« arche » de Katia Bourdarel, qu’habite donc Emzara, ressemble à une charrette de nomades, entièrement recouverte de peinture noire évoquant le camion noir de Marco Boggio Sella (1997). Emzara, l’œuvre, contient le tonnerre et les éclairs, le déluge a lieu à l’intérieur, et l’on devine qu’Emzara, la femme, telle une sorcière, est aux fourneaux, s’activant à transformer le chaos en beauté peut-être, voire en paix ? On se prend à sourire…

Il faudrait bien sûr citer toutes les œuvres. Il faut prendre le temps de les voir toutes. Sans oublier le temps du jardin – ni surtout la vidéo de Nil Yalter, aussi mystérieuse soit-elle. La femme véritable !

Co-curatée par Danièle Marcovici et Stéphane Baumet, l’exposition est à visiter jusqu’à fin octobre 2025.