Dans la profondeur incertaine de l’œuvre de Van de Velde

Dans la profondeur incertaine de l’œuvre de Van de Velde
Vue de l'exposition "On Paper" Courtesy Galerie Max Hetzler Berlin | Paris | London | Marfa. Photo : Thomas Lannes.
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La galerie Max Hetzler présente en ce moment une exposition intitulée On Paper.

Parmi les nombreuses œuvres qui composent cet événement collectif, le dessin « Gustav, Gustav, Gustav » effectué par Rinus Van de Velde en 2023 a retenu notre attention. En effet, jouant de contrastes de couleurs et d’une construction en plusieurs plans, il ne s’inscrit pas dans le registre de la peinture plane qui prévaut depuis l’époque moderne sans toutefois que l’on puisse parler à son propos de composition perspectiviste classique.

 

© Rinus Van de Velde / Courtesy Galerie Max Hetzler Berlin | Paris | London | Marfa. Photo : Thomas Lannes.
© Rinus Van de Velde / Courtesy Galerie Max Hetzler Berlin | Paris | London | Marfa. Photo : Thomas Lannes.

 

Tout d’abord, ce dessin au pastel est un Drawing Painting, c’est-à-dire une œuvre dans laquelle le dessin couvre entièrement le fond à la manière d’une peinture. Cette démarche est intéressante puisque, si on en croit le philosophe Walter Benjamin, la ligne graphique dépend du fond sur lequel elle est tracée, c’est-à-dire qu’en dessin la présence du support comme fond est la condition de l’émergence de la profondeur.

Recouvrant entièrement son support, le dessin de Rinus Van de Velde déroge à cette règle. Réalisée sur un grand format vertical, sa composition montre une étendue d’herbe verte en perspective tandis que la rectitude des lignes en « rideau », qui suggèrent des troncs d’arbres situés à l’arrière-plan, ferme l’horizon. Au bas de l’œuvre, on peut d’ailleurs lire cette phrase écrite au crayon noir : « Gustav, Gustav… the horizon has disappeared » (Gustave, Gustave… l’horizon a disparu).

Cette inscription énigmatique peut directement faire penser à Gustave Courbet. Dans l’ensemble de ses œuvres de la série « La Vague » par exemple, la ligne d’horizon est souvent fortement matérialisée par la différence de traitement en couleur et en texture du ciel dans la partie haute et de la vague dans la partie basse. Chez Van de Velde, au contraire, l’horizon s’est retiré et son absence sème le trouble.

 

Un tableau de la série La Vague de Gustave Courbet (1869-1870) conservé au Musée des Beaux-Arts de Lyon.

 

L’horizon a d’autant plus disparu que, dans sa composition, ce qui au premier instant apparaît comme le ciel, comme un fond bleu sur lequel s’élèvent les arbres rouges, ce sont en fait des arbres eux-mêmes. En effet, jouant de cette règle bien connue des peintres qui fait que le rouge paraît toujours placé à l’avant du bleu et traçant certaines de ses lignes bleues devant l’étendue d’herbe, Van de Velde nous les fait percevoir comme forme après nous les avoir présentées comme fond.

Par ce procédé, il crée une profondeur étrangement plane. Son étendue d’herbe verte se trouve comme écrasée entre des lignes bleues situées au premier plan mais tendant optiquement à disparaître dans le fond et des lignes rouges qui, bien que dessinées à l’arrière-plan, s’en détachent visuellement. Intégrant au registre figuratif les effets optiques de l’op art abstrait, il invente une « profondeur aplanie » profondément moderne.

L’innovation de cette œuvre qui renoue avec la profondeur sans répéter les règles de la perspective classique est à l’image de celles des nombreux autres dessins exposés à la galerie Max Hetzler. Ils sont  à découvrir rue du Temple jusqu’au 6 avril.

 

Texte co-écrit avec Orianne Castel.