Sauver Mondrian

Sauver Mondrian
L’œuvre Pier and Ocean (2014) de François Morellet et Tadashi Kawamata présentée dans le reportage.
Méta  -   Hommages, pastiches et citations

Le reportage « Radical et révolutionnaire : l’art de Piet Mondrian » qui sera diffusé à la télévision le 9 février prochain mais qui est d’ores et déjà visible sur le site d’Arte retrace l’itinéraire du peintre néerlandais tout en interrogeant son héritage.

Filmé en grande partie dans les salles d’exposition du Kunstmuseum de Wolfsburg (Allemagne) à l’occasion de l’exposition « Re-Inventing Piet. Mondrian und seine Folgen [1] » qui s’y est tenue en 2023, il donne à voir l’immense postérité de l’artiste abstrait. Nous permettant d’arpenter les différentes salles du musée, il rend visible son influence sur les acteurs de la mode, de la publicité, de l’architecture et du design, mais il montre surtout son importance pour nombre d’artistes modernes et contemporains.

Défilent ainsi en arrière-plan les œuvres de Sir Eduardo Paolozzi, Sylvie Fleury, Mathieu Mercier ou encore Remy Jungerman. Avec Donald Duck rencontre Mondrian (1967), Paolozzi crée une improbable rencontre entre abstraction et pop art alors qu’avec Mondrian Boots (1992) Sylvie Fleury réunit rationalisme et monde du luxe. Avec Still Untitled (2000), Mercier corrompt la rigueur géométrique d’une composition « mondrianesque » quand Jungerman, avec Guardian Havana (2009), la transforme en étagère permettant de classer objets et images.

Si de nombreuses œuvres sont juste effleurées par l’objectif de la caméra, il s’arrête sur certaines autres. Parmi elles, des œuvres critiques comme celle de Jakob Lena Knebl nommée Piet 1, dont la voix off nous dit qu’en peignant une composition « à la Mondrian » sur les rondeurs de son propre corps, l’artiste en caricature l’aspect puriste. L’œuvre Drug (remix) (2008) de Georg Baselitz, peinture dans laquelle le visage d’un homme se trouve fracturé par des lignes noires et des aplats de couleurs renvoyant à l’univers de Mondrian mais évoquant surtout une croix gammée, relève du même registre négatif mais sans dimension humoristique. Il en est de même de la série d’Alfred Hrdlicka intitulée Das allerneueste Testament (1967) sur laquelle la caméra s’attarde également. Dans ces sérigraphies en effet, des scènes de torture sont représentées à l’intérieur de cases faisant explicitement référence à l’esthétique du peintre abstrait. Andreas Beitin directeur du musée et curateur de l’exposition, avance une explication : pour l’artiste autrichien, il est du devoir de tout créateur de représenter la souffrance humaine, et il n’est pas possible de se réfugier derrière des recherches d’équilibre de lignes ou de couleurs.

Le reportage marque également des temps d’arrêt sur des œuvres aux propos plus ambigus comme Abstraction Licking (2013), vidéo dans laquelle les lignes noires d’une composition proche de celles de Mondrian sont utilisées comme des barres de pole dance. Pour l’artiste Cristina Lucas interrogée à l’occasion du reportage, cette esthétique logique inspirée du calvinisme, du rationalisme et des sciences dont elle se méfie en tant qu’elle entend structurer des domaines comme le désir, la passion ou la sexualité lui sert néanmoins à condamner l’étalage de la vie privée, notamment sexuelle, dans la société contemporaine. Le documentaire s’attarde sur des œuvres encore plus nuancées comme Pier and Ocean (2014), fruit d’une collaboration entre François Morellet et Tadashi Kawamata. Faisant explicitement référence par son titre à la série d’œuvres de Mondrian sur le thème de la « jetée sur l’océan », elle propose une immersion dans les lignes géométriques ici matérialisées par des néons. Enfin, la dernière pratique artistique présentée s’inscrit dans un registre positif puisqu’il s’agit du travail de Gregor Hildebrandt, lequel reconstitue des « Mondrian » à partir de bandes audio de différentes couleurs, portant ainsi l’attention sur la mélomanie de Mondrian.

C’est d’ailleurs le propre de ce reportage que d’insister sur la multiplicité des facettes de l’artiste. Idéologue rigoureux comme le montrent sa peinture et ses écrits, c’était aussi un grand danseur, féru de jazz et fan absolu de Joséphine Baker, et il faut noter que cet aspect moins connu de sa personnalité avait également été mis en avant dans l’exposition Step by Step Boogie-Woogie consacrée à l’artiste à la New Space de Liège l’été dernier.

Il semble y avoir aujourd’hui, au-delà des artistes adeptes ou détracteurs, une volonté des institutions de sauver Mondrian en le liant à des problématiques plus actuelles. C’est ce dont témoigne une autre vidéo disponible sur Arte. Intitulée « Pays-Bas, pays abstrait de Mondrian Invitation au voyage », elle se donne pour mission de démontrer que c’est au sein des paysages hollandais que l’artiste a trouvé les fondements de son système abstrait. Remplaçant le rationalisme occidental et l’idéologie du progrès par une fascination pour la nature, elle rend la pratique de Mondrian contemporaine. S’ouvrant avec la citation « la nature m’émeut profondément, je la peins seulement d’une autre manière », elle rend cette œuvre admirable à une époque où nombre d’artistes, Picasso en tête, font l’objet d’une réévaluation à l’aune de critères extra-artistiques.

Le reportage « Radical et révolutionnaire : l’art de Piet Mondrian » est visionnable jusqu’au 19 mars 2024 : https://www.arte.tv/fr/videos/112332-000-A/radical-et-revolutionnaire-l-art-de-piet-mondrian/

La vidéo « Pays-Bas, pays abstrait de Mondrian Invitation au voyage » est visionnable jusqu’au 29 mars 2024 : https://www.arte.tv/fr/videos/108264-001-A/pays-bas-pays-abstrait-de-mondrian/

L’exposition collective Side-Step Boogie-Woogie qui prolonge l’exposition Step by Step Boogie-Woogie est visible à la galerie Les Filles du calvaire jusqu’au 24 février 2024.

[1] Réinventer Piet Mondrian. Mondrian et les conséquences.