Performer l’exposition : Mouvement 1

Performer l’exposition : Mouvement 1
À voir

« Mouvement 1 » se tient au Système D ( Malakoff ) du 14 au 23 février 2023.

Mouvement 1 se présente comme une exposition performative où rien n’est immuable. Son horizon : susciter des gestes signifiants et des interactions imprévues au sein d’une galerie transformée en « plateau vibratoire », selon les curateurs Nogan Camille Chevreau et Félix Félisaz. Cette exposition opère comme une vitrine sur la performance contemporaine, mettant en lumière les pratiques performatives dans toute leur diversité. Les dix artistes participants associent la performance à une pratique hybride, à l’intersection du dessin, de l’installation, de la sculpture, du son et de la danse, renouant avec une conception enthousiasmante et politique de l’art de la performance. La spécificité de cette « exposition performative » tient à la volonté mimétique des deux curateurs, faisant coïncider la temporalité de l’exposition avec celle d’une performance prolongée. La première semaine d’exposition met en scène les « répétitions » des actes à venir, la négociation des corps performants avec l’espace de la galerie, la mise en place d’une partition commune. Une seconde semaine, une fois le vernissage passé, enregistre l’empreinte de ce mouvement et inscrit les performances dans un nouveau récit. Inspiré par les réflexions de Mathieu Copeland dans « Chorégraphier l’exposition », Mouvement 1 est une « ex-position », présentant des positions qui ont été mais ne sont plus, autant que d’autres à venir. Le projet vise à filer la métaphore initiée par Copeland, déplaçant la focale depuis les arts dansés vers la notion de performance artistique.

Le mouvement premier de l’exposition, du 14 au 17 février, offre un aperçu des coulisses de la création artistique. Il s’agit d’une mise en scène des moments de montage de l’exposition où le public est invité à observer les répétitions, la production du catalogue et d’autres processus créatifs. Cette porosité entre l’exposition, la chorégraphie et la résidence d’artiste se matérialise à travers un catalogue en évolution conçu par Clara Hoya. Son dispositif graphique, en constante mutation tout au long de l’exposition, révèle l’engrenage complexe entourant la conception artistique, offrant ainsi une performance graphique en direct. La question de l’archive et de la trace est une interrogation toujours vive. À l’opposé d’une conception objective et scientifique du catalogue d’art, les photographies et les phrases agencées par Clara Hoya révèlent la modalité toujours fragmentaire de la recollection d’une performance, profondément intime, impressionniste et évolutive. Le vernissage coupe temporellement l’exposition en deux et n’est plus considéré comme l’acmé de l’exposition : il devient le point de bascule vers une autre modalité de monstration des œuvres, Mouvement 1 interrogeant ensuite ce qui reste de l’action une fois qu’elle a eu lieu. Nuançant l’idée que la performance est un one-shot, un événement tout à fait spontané face auquel il faut être là sous peine de ne jamais pouvoir en faire l’expérience, Mouvement 1 prouve par l’exemple que la pratique performative se déploie également comme un processus, avec ses logiques de préparation, sa fragile pérennité et ses enjeux de sauvegarde.

La première salle, illuminée par la lumière filtrant à travers la serre de Système D, est le théâtre d’une évolution sensorielle. Elle introduit le visiteur à cette contagion constante des statuts proposés par Mouvement 1 : les objets exposés semblent se suffire à eux-mêmes tout en faisant partie d’un ensemble plus large attendant d’être activé par les performeurs. Gabriel Levie se plaît à y mettre en scène des terrains de jeu dans lesquels les corps s’échauffent jusqu’à l’épuisement. Surplombant ce jeu athlétique cruel, des mains en silicone jaillissent d’une mule aveugle recouverte de jersey, à la manière des performeurs surveillant la scène globale. Dans le même espace, Eugène Pereira Tamayo interroge la dimension performative de la conférence académique en invitant tout en les dessinant trois artistes et théoriciens de l’art contemporain à se livrer sur leurs parcours respectifs. Le public est invité pendant les conférences à les ébaucher également. La galerie porte ensuite la trace de ces gestes performés, jusqu’à la prochaine activation. La pratique de Kay Yoon nous rappelle également que les objets eux-mêmes peuvent avoir une visée performative, la présence fantomatique au sol de ses bougies questionnant nos attentes vis-à-vis de l’événement performatif.

Tout l’enjeu ici est celui de la capacité adaptative du corps humain. Le public se trouve en négociation constante dans l’espace, passant d’une pièce à l’autre, divisant son attention sur les divers gestes signifiants se déroulant autour de lui. Le parcours de l’exposition explore les évolutions de ces corps et de ces objets, exposant à des malaises perceptifs, des difficultés à assigner un usage aux objets jonchant le sol. La Bête massive de Anton Rybaltchenko contamine le lieu d’exposition de sa présence hybride et suave tandis que ses petits Roy & Jet, surprenantes créatures automatisées, trépignent et piaffent entre les jambes des visiteurs sans autre fonctionnalité que d’entrer ainsi en relation avec eux. Les tables de massage ( ou d’opération ? ) de Manon Torné-Sistéro, aux courbes exagérées, promettent un soulagement des douleurs corporelles vite balayé par l’usage réel qu’en font leurs usagers pendant leur activation dans Coconut. La négociation du confort et de l’inconfort survole les travaux de ces dix artistes. Théo Pérézil met en scène un corps inerte, figé dans des positions inconfortables et de lentes scansions mélodiques. Nogan Camille Chevreau trouble l’imagerie du chantier en quadrillant un plateau ventilé composé de bouches d’aération et de tuyaux donnant un souffle à deux protagonistes. Le complexe de ventilation abrasif est maître de la répartition du souffle venant assister et menacer les corps embryonnaires qui en dépendent. Les corps entrent dans une danse extatique au contact de ce lieu inhospitalier et ne font plus qu’un avec celui-ci, tandis que les tuyaux disséminés par Leen Verbrugghe déploient une galerie souterraine de liquide et de cavités mystérieuses. Utopiques ou dystopiques, ces évolutions nous ouvrent à la possibilité pour le corps humain d’évoluer vers de nouvelles formes d’être-au-monde, ainsi qu’à la menace d’un mobilier urbain devenant inhabitable pour l’homme. Antonin Sambussy invite les spectateurs à faire l’expérience de ces assises à mi-chemin entre la sculpture et l’objet, en reprenant la forme d’un siège de bureau extra ergonomique devenu inadapté à une physionomie humaine : c’est le corps du spectateur qui doit alors se plier à l’exercice de la négociation, entre contrainte et émancipation. Un corps toujours fragile, toujours menacé par la mort à venir, comme le rappellent les dessins de Max Peroy exposés dans l’antichambre finale, écrin ténébreux où se dévoilent linceuls, boue, cadavre. Pointe également la possibilité d’une rédemption, des enceintes harmonisant un son doucereux autour de la salle.

Tout fait signe dans Mouvement 1. Utilisant des termes d’alchimie, on pourrait postuler la possibilité d’une transmutation méthodologique entre curation et performance : la performance est pensée comme un agencement des signes et des vibrations propres au travail du curateur, de la même manière que la curation est envisagée comme une pratique performative. Nogan Camille Chevreau et Félix Félisaz évoquent un « mariage » entre ces deux pratiques, union qui se veut « empathique ». Exposer la performance artistique revient alors à penser la performance curatoriale également en termes de négociation, de confort et d’inconfort. La pratique performative, dans sa spécificité, fonctionne comme une question à laquelle la pratique curatoriale se doit de répondre. Mouvement 1 nous offre une esquisse de réponse : laisser place à tous les phénomènes de perturbation, de bougé et de distraction qui nous destituent de la maîtrise de l’objet et du corps, et nous lient au monde par toute la surface vibratoire de notre être.

Les lecteurs pourront découvrir la seconde partie de la programmation jusqu’au 23 février.