L’Indolente peinte par Pierre Bonnard en 1899, Femme assoupie sur un lit de son vrai nom, est le premier tableau de l’artiste considéré comme un chef-d’œuvre. On y trouve tous les ingrédients propres au style du jeune Bonnard alors qualifié de « nabi japonard » par ses amis. La palette de couleurs y est réduite, les contrastes de valeurs sont très marqués entre premier plan plongé dans l’obscurité et seconds plans illuminés, la planéité du support est accusée par la composition. Ici cependant, son refus de la perspective traditionnelle s’exprime par un plan en plongée encore jamais expérimenté par l’artiste et étonnamment moderne.
Dans l’espace réduit à celui du lit, une femme nue masque sa poitrine d’une main tandis que le bas de son corps reste offert au regard ; son bras replié sous sa nuque indique le repos alors que son pied gauche accroche d’un geste brusque sa jambe droite. Cette femme toute en contraste, c’est Marthe, modèle de Bonnard qui l’épousera en 1925, et les ombres sinueuses qui marquent ici les draps récemment froissés par l’amour apparaissent rétrospectivement comme les signes annonciateurs des tourments de son caractère passionné. Comme Bonnard, qui lui aura consacré plus d’un tiers de ses tableaux, c’est à ce personnage que Martin Provost rend hommage avec son film intitulé Bonnard, Pierre et Marthe.
Mettant en scène le quotidien du couple durant les cinquante années qui séparèrent leur rencontre de leur séparation à la mort de Marthe, le réalisateur campe le portrait d’une personnalité hors norme. Jeune femme issue d’un milieu modeste ayant quitté le Berry pour faire carrière à Paris, Maria Boursin, qui s’y fait nommer Marthe de Méligny, se rajeunit de huit ans en même temps qu’elle renie ses origines pour s’en inventer de nouvelles. Vivant avec Bonnard à qui elle ne révélera la vérité sur son identité qu’à l’occasion de leur mariage quelque trente ans plus tard, elle est sa muse, celle qu’il représentera à travers ses variations de « Nu à la toilette » dont elle fut l’unique modèle.
À travers cette série, où le peintre du bonheur comme on le surnommait se fait surtout mélancolique, se dévoile la puissance de cette relation dans laquelle le désir s’affronte au temps qui passe. Mais au-delà de cet ensemble magistral, c’est à Marthe, à sa maladie (elle est asthmatique) à sa crainte sans doute d’être découverte, à son sentiment d’insécurité au sein d’un milieu artistique qui n’était pas le sien, que l’on doit les tableaux de l’artiste réalisés à Vernon. Ces paysages et natures mortes peints dans l’isolement exigé par une femme que l’inquiétude rendait toujours plus jalouse constituent l’arrière-fond de ce film qui retrace aussi la vie de bohème des artistes de la Belle Époque.
Incarné par un Vincent Macaigne peu loquace mais bon enfant et une Cécile de France parfois joyeuse mais souvent tourmentée, le couple est régulièrement visité par Claude Monet (André Marcon) et sa femme Alice (Hélène Alexandridis) souvent accompagnés d’Edouard Vuillard (Grégoire Leprince-Ringuet). Il l’est aussi par Renée, la maîtresse du peintre (Stacy Martin), nœud de cette intrigue aux accents de vérité.