Des peintures de Charlie Hamish Jeffery

Des peintures de Charlie Hamish Jeffery
Charlie Hamish Jeffery, hands (green), 50 x 40 cm, 2023. Courtesy de l'artiste et Galerie Florence Loewy © Aurélien Mole
À voir

Plus qu’une semaine pour visiter l’exposition monographique de Charlie Hamish Jeffery proposée par la galerie Florence Loewy de Paris. Si l’artiste est surtout connu pour son œuvre protéiforme constituée d’installations, de performances et de vidéos, c’est une douzaine de ses peintures qui sont présentées à l’occasion de ce solo show.

Intitulé « Floating Bodies », celui-ci fait la part belle au corps humain, ou plutôt à la représentation du corps humain, celle qui s’apprend dans les ateliers de dessin. C’est en tout cas ce que suggère le traitement des quatre tableaux sur ce thème. Tracés sur des fonds de couleur, lesquels indiquent que nous faisons face à des peintures et non à des travaux préparatoires, les fragments de corps en empruntent pourtant tous les codes : jointures des doigts précisément dessinées ou veines du dos de la main finement modelées par un jeu d’ombre et de lumière quand le reste du corps n’est pas même esquissé.

Évoquée à travers une manche réduite à un simple rectangle, surface en réserve également caractéristique de l’étude anatomique, cette réduction du corps à la seule main n’est sans doute pas anecdotique. Si de toutes les parties du corps l’artiste n’a retenu que celle-ci pour peindre le travail du peintre, c’est sans doute parce que c’est elle qui est la plus engagée dans sa propre pratique picturale. Charlie Hamish Jeffery ne danse pas autour de sa toile à la manière d’un Jackson Pollock : de 37 par 25 cm pour le plus petit à 120 par 90 cm pour le plus grand, les tableaux qu’il présente chez Florence Loewy sont de formats modestes.

Modestes, ils le sont aussi par leurs sujets. Une pierre, un escalier, une étagère ; l’artiste semble avoir, comme dans ses assemblages sculpturaux, pris pour matériaux de départ les objets usuels qui se trouvaient dans son environnement immédiat. C’est donc à partir d’objets quotidiens qu’il poursuit sa réflexion sur la traduction du visible en peinture.

Ses représentations font toujours se confondre l’objet évoqué et le registre de la peinture lui-même. Avec seulement deux couleurs (mais plusieurs valeurs) et une dextérité du tracé qui témoigne d’un long entraînement, l’artiste fait naître la profondeur d’un escalier de la surface plane de la toile en même temps qu’il associe cet objet au mouvement, celui du tracé.

 

Charlie Hamish Jeffery, shelf, 40 x 30 cm, 2023. Courtesy de l’artiste et Galerie Florence Loewy © Aurélien Mole

 

Ses représentations sans être réalistes semblent toujours étonnamment réelles, à l’image de l’étagère « shelf » réduite à un tracé géométrique mais rendue très palpable par sa réalisation en rouge sur fond bleu, procédé visant à créer l’illusion de la profondeur mentionné par Goethe dans son Traité des couleurs en 1810.

Cette plasticité de la peinture capable de réduire un objet au tracé mais également de donner une matérialité à une simple ligne, Charlie Hamish Jeffery, artiste britannique installé en France, semble la percevoir également dans la langue ou dans ses incessants passages d’une langue à l’autre. Comment comprendre autrement la mention « on walk » (sur la marche/en marche) peinte au-dessus d’un cube dont la forme géométrique semble inspirée de celle des marches des escaliers peints par l’artiste ?

L’ambiguïté de la représentation et l’ambivalence de la langue, leur ambition commune de saisir le réel et la poésie qu’elles font naître en échouant dans leur mission est merveilleusement illustrée par les deux portes peintes par l’artiste. Présenté à côté d’une peinture pour l’un, exposé à côté d’une vraie porte pour l’autre, ces tableaux, respectivement intitulés « door (yellow) » et « door (orange) », traduisent quant à eux l’équivoque de la relation texte-image. Tracées en bleu sur des fonds jaune et orange, les compositions d’apparences voisines évoquent par moments un plan vu de haut, par moments une porte dessinée frontalement, selon qu’on interprète le mot « door » tracé en haut de l’image comme le titre de celle-ci ou comme un mot en faisant partie, signalant simplement l’emplacement de l’entrée sur le plan.

Une main qui pourrait être l’image du dessin, un escalier qui pourrait en être le geste, une étagère qui est peut-être un cube, un cube qui peut-être est une marche, une porte qui est soit un plan soit un titre, et c’est sans hésiter que nous vous conseillons cette exposition.