Guillaume Chamahian, Détritique

Guillaume Chamahian, Détritique
Détail, Amazon, 2023, Impression sur plaque de granit, 87x57x2cm.
Personnalités  -   Artistes

Artiste du réel, de ses représentations, traitements et retraitements, l’œuvre singulière de Guillaume Chamahian se situe à la croisée de la photographie documentaire, de l’art conceptuel, de la dénonciation politique et de l’art d’investigation.

Avec en tête cette phrase de Claude Lévi-Strauss : « Le monde a commencé sans l’homme et s’achèvera sans lui », Guillaume Chamahian s’interroge : « Comment raconter l’histoire de l’Homme en images, en imaginant que dans des millions d’années d’autres formes de vie puissent la découvrir ? ». Enfant déjà, Guillaume Chamahian jouait à enterrer des objets, en espérant que quelqu’un, un jour, les trouverait – comme si, par ce geste, il pourrait survivre à sa propre finitude. Ses images désormais, comme ses jouets d’enfant, deviennent porteuses d’une mémoire au-delà du temps d’une vie humaine.

 

Bataille, 2023, Impression sur plaque de granit, 43x32x2cm.

 

En 2022, il crée une œuvre vidéo, collectant parmi les millions d’images disponibles et les quelques dizaines qu’il a produites lui-même, un ensemble de 1200 images dont il soumet ensuite l’ordre et la durée d’apparition sur une installation de trois écrans vidéo au Centre Photographique de Marseille à une intelligence artificielle complice. Guillaume Chamahian numérise ainsi notre monde : « Dans une vaste constellation d’images je dresse une cartographie qui convoque l’organique, les artéfacts, les data, les sciences, la société du spectacle, l’histoire de l’art, les mythes, …. Je fabrique un large corpus d’images dans lequel les représentations convoquent notre mémoire individuelle (images intérieures) pour interroger la mémoire collective (images extérieures) afin qu’un jour mes descendants devant elles éprouvent le passé et à leur tour s’interrogent : il y a-t-il une preuve sensible de l’existence de ce que nous nommons la vie ? » Et comme en hommage à Mnémosyne d’Aby Warburg, toutes les images vidéo de Guillaume Chamahian apparaissent sur fond noir.

 

Invisible, 2023, Impression sur plaque de grès, 27x20x2cm.

 

Guillaume Chamahian a ensuite cherché une matière organique d’une durée de vie en principe infinie, après transformation par une chaleur intense. Il s’improvise céramiste et se met à fabriquer des plaques de grès, roche sédimentaire détritique composée de l’accumulation de sédiments, de débris d’organismes vivants et de poudre d’oxyde de manganèse, un pigment utilisé dans les peintures pariétales préhistoriques. Il utilise également du marbre et du granit du Zimbabwe. Quant aux images, elles résultent à nouveau d’une sélection « archéologique » non exhaustive convoquant la période qui s’étend de la préhistoire à nos jours et représentent, elles aussi, comme le grès, une accumulation de bribes, de reliques et de débris d’une histoire organique de la civilisation humaine. Et au travers de ces images essentiellement trouvées, Guillaume Chamahian se penche, avec grande modestie, sur le paradoxe entre l’absurdité de notre existence et sa puissance mystique en convoquant la cosmologie, la science, les artefacts, le vivant : la nature en somme, et l’humain en elle. Entre les mains du créateur critique qu’il est, après passage dans sa « camera dura », chaque plaque-objet devient un porte-empreinte unique du passé qui offre au spectateur une unité retrouvée à travers le temps, à fleur de grès, à fleur de pierre, à fleur de temps. Une unité retrouvée qui n’est pas sans évoquer Les Unités perdues d’Henri Lefebvre (2011) : un inventaire d’œuvres inachevées, disparues, oubliées, détruites ou parfois même jamais réalisées, inventaire qui leur redonne vie. Comme le dit si bien Pascal Quignard : « Les artistes sont les meurtriers de la mort » et ils travaillent sans relâche à sauver les images de leur disparition et à préserver et enrichir notre mémoire.

 

Red men, 2023, Impression sur plaque de granit, 43x32x2cm

 

Guillaume Chamahian, né à Marseille en 1975, artiste plasticien autodidacte, vit et travaille à Marseille. Son travail a été présenté aux Rencontres d’Arles, au Musée de la Fondation Slaoui à Casablanca, au Musée de la Vieille Charité à Marseille, au Musée de L’Elysée à Lausanne et au Centre Photographique Marseille. Il a fondé et dirigé le festival « Les Nuits Photographiques » à Paris. Il a consacré plus d’une décennie de travail à de possibles représentations de la guerre en Syrie. Ses œuvres font partie des collections FRAC PACA et du CNAP.

Après avoir présenté une première version de « Détritique » au Salon Approche, consacré à la photographie expérimentale, en novembre 2023, il présentera deux nouvelles versions à la galerie Analix Forever à Genève. La première intitulée « Détritique 2 » se tiendra du 20 décembre 2023 au 10 janvier 2024, la seconde nommée « Détritique 3 » du 10 au 26 janvier 2024.