Un amour de Chrysalide

Un amour de Chrysalide
Lynn Hershman Leeson Breathing Machine IV, 1968 Cire moulée, tissue, plumes, papillons, bois, capteurs, son 25 x 41 x 41 cm Courtesy de la Danniel Rangel collection Photo : Mathilda Olmi
À voir

« Chrysalide : le rêve du papillon » est une exposition exceptionnelle présentée jusqu’en juin 2023 au Centre d’Art Contemporain (CAC) de Genève, par son directeur qui est aussi le commissaire de l’exposition. Une exposition sur le thème de la transformation, qu’Andrea Bellini prépare depuis plusieurs années, animé par des émotions qui viennent de loin, dont Ovide : au collège déjà, le jeune Andrea est fasciné par l’étonnante compression des temps : tout est maintenant dans Les Métamorphoses. Plus tard, en 2011, alors qu’il est directeur du Castello di Rivoli, Andrea Bellini, fasciné par sa marginalité active et ses transformations hors normes, accueillera déjà Genesis Breyer P-Orridge et sa pandrogynie au Théâtre du Castello. Et l’italien en Bellini aime Pinocchio, ce transformiste modelé par l’erreur, le mensonge créatif et la subversion, cet enfant peu sage qui préfère les balades imaginaires, y compris dans le ventre de la baleine, à la rigueur scolaire… Trois références essentielles pour « Chrysalide : le rêve du papillon », qui porte par ailleurs un propos politique fort, qui se développe depuis plusieurs années au Centre : l’inclusion. Toutes les inclusions, toutes les métamorphoses, tous les choix. Pourtant, l’impression globale d’une première traversée de l’exposition est celle d’une grande douceur : le propos politique est comme enveloppé par la lumière de l’amour et de notre transformation perpétuelle, de la naissance à la mort. L’amour de la différence nous guide, comme un chemin – peut-être le seul chemin vers la paix, selon Andrea Bellini. Ici toutes les âmes en exil sont les bienvenues.

Marcel Bascoulard Tirages argentiques d’époque (1944 à 1974) Dimensions variables Collection privée

 

Commençons par la fin de l’exposition : dans la salle de projection d’une série de films, dont celui de Kirby Dick sur le mythique Bob Flanagan, est présenté The Ballad of Genesis and Lady Jaye (2011), l’histoire d’amour fou de Genesis Breyer P-Orridge, artiste, musicien, écrivain, performeur, et Jacqueline Breyer, dite Lady Jaye. Ces deux-là sont allés vers un extrême de l’amour, portés par l’idée d’un genre partagé. Ils s’adonnent à la chirurgie dans le but de se ressembler de plus en plus : il s’agit de comprendre l’autre et ses différences, de le « con-prendre », le prendre avec et le connaître jusqu’à renaître en iel. Un film extraordinaire qui au-delà même de cette extravagante histoire, nous parle de toute une époque, de la créativité en action, de la transformation. Genesis et Lady Jaye : chrysalides et papillons.

Le début de l’exposition, elle, accueille un œuf en bronze doré de Luigi Ontani, à la surface duquel s’ouvrent une multitude d’yeux et de bouches desquels va bientôt émerger, imagine-t-on, un poussin humanoïde de nouvelle facture.

 

Rachel Rose Colore (1793), 2022 Pigment de couleur, poudres métalliques, impression giclée de Joseph Wright of Derby Cottage on Fire at Night. ca. 1793 Encadré : 82.9 x 106 x 3.5 cm Courtesy de l’artiste et Pilar Corrias Londres Photo : Mathilda Olmi

 

Il y a 56 artistes dans l’exposition (https://centre.ch/en/exhibitions/chrysalis/) – impossible de les mentionner tous mais chacun apporte son propre monde en transformation, tel une lumière venue d’ailleurs. Releasing The Human From The Human, deux « lampes » sphériques d’Anicka Yi, inspirées de la lampe emblématique Akari d’Isamu Noguchi, suspendues au plafond, contribuent à la douceur de la lumière, une lumière qui se modifie sans cesse au fil de la vie des micro-organismes dont les « lampes » sont recouvertes, et des mouvements des insectes animatroniques qui les habitent.

L’anthropocène est une période formidable ! Et un modèle même de transformation. Rachel Rose, dans ses tableaux, ne nous montre pas de rivières polluées, pas de territoires ravagés, ni de végétations mutées. Les dégradations chimiques opèrent à même ses toiles et nous donnent à voir, dans toute sa somptueuse réalité, l’apocalypse à venir. Une sublime révélation. L’horreur délicieuse de Baudelaire, plastique, chimique, rongeant le réel avec une infinie gourmandise.

 

Bruno Zhu Joy, 2019 Accessoires cosmétiques, outils en céramique, savon, toile, sur un socle Dimensions variables Courtesy de l’artiste Photo : Mathilda Olmi

 

Plus loin, l’ensemble de la table de Bruno Zhu, des collages de Pierre Molinier et des autoportraits de Marcel Bascoulard habillé en femme forment un saisissant ensemble. Comme le rappelle Andrea Bellini, le collage est une méthode ancestrale de transformation et d’enrichissement de l’image. La mode, dont traite Zhu et dont s’habille Bascoulard, permet quant à elle tous les types de transformation. La différence est belle, magnifions-la plutôt que de chercher à l’effacer. Admirons à défaut de le boire le lait maternel synthétique de Jenna Sutela. Tout en conservant l’indispensable mystère de la création. C’est ainsi qu’opère le charme de « Chrysalide : le rêve du papillon »