Rémy Hysbergue : quelques arrêts sur image

Rémy Hysbergue : quelques arrêts sur image
Personnalités  -   Artistes

Rémy Hysbergue est un artiste français représenté par la galerie Richard. Durant trois entretiens, Orianne Castel l’interroge sur sa pratique.

Orianne Castel : Vous vous intéressez au numérique ; que cherchez-vous à traduire de cet univers par le biais de la peinture ?

Rémy Hysbergue : Je m’intéresse à toutes les formes graphiques, quelles qu’elles soient. Je n’ai pas étudié aux Beaux-Arts mais aux Arts Appliqués, puis j’ai fait les Arts Décoratifs. Mais je m’intéresse au numérique parce que c’est une production contemporaine, avec une définition de l’image qu’on a peu vue avant sa création : une certaine qualité, un rapport au réel ; c’est essentiellement pour cette raison. Le numérique n’est pas tout mais c’est une autre possibilité, une autre manière de montrer une forme de réel et la peinture peut s’y intéresser comme elle peut s’intéresser à la photographie, au cinéma, à toute production visuelle.

O.C. : Personnellement, j’ai vu deux liens au numérique dans votre peinture. Le premier est la traduction en peinture d’un effet de rétroéclairage propre à l’univers des écrans. Est-ce un effet que vous avez recherché et, si oui, que cherchez-vous à dire de la place du numérique et de la place de la peinture dans nos sociétés par ce geste de fusionner peinture et écran ?

R.H. : La rétro luminosité existe là mais elle existe aussi dans les photogrammes de László Moholy-Nagy. Certes, les couleurs flashent un peu plus. Certes, il y a une ultraprécision qu’on n’avait pas dans la photographie auparavant (qui enlève des choses et qui en apporte d’autres) mais ce n’est pas si différent que ça. Par ailleurs, je ne cherche pas vraiment à dire des choses, j’essaie de comprendre ce qui se passe avec toute cette production d’images. J’essaie de replacer de la peinture dedans, du moins ce que moi j’appelle de la peinture, c’est-à-dire, d’une manière assez classique, un travail de lumière, de profondeur, de définition et de touche. , Je m’intéresse au rapport à l’image et à la peinture mais sans que ça fasse image, ou, en tout cas si ça fait image, en créant un doute. C’est avant tout un travail de sens. J’aime me penser dans la catégorie des artistes qui réfléchissent à leur médium, à la suite de plein de gens qui sont passés avant moi et qui m’ont impressionné et influencé. J’aime me penser du côté d’une peinture qui ne serait pas immédiatement lisible. On a passé les années soixante soixante-dix à faire des peintures intelligentes mais un peu raides. Les années quatre-vingt, c’était un peu le tout et le n’importe quoi (et d’autres choses aussi). Je crois qu’aujourd’hui une peinture peut être belle au premier abord, et intelligente. En premier lieu, j’essaie de faire une peinture qui me plaît. Je ne cherche pas à faire une peinture qui plaise à telle ou telle personne ou à tel ou tel milieu. Je crois qu’on doit pouvoir assembler les effets, une connaissance de la peinture ancienne, une réflexion sur l’image, les écrans, pour faire une peinture qui soit un peu plus costaud qu’un parfum. On peut faire quelque chose qui soit à la fois très séducteur dans l’effet et relativement précis dans ce qui est amené comme discours sur la peinture. Faire une peinture qu’on puisse regarder plus de cinq minutes dans le flot d’images que nous consommons tous quotidiennement, c’est déjà bien. Je serais plutôt du côté d’une peinture qui n’a pas l’air de penser mais qui pense quand même.

 

Rémy Hysbergue, A 53822, 2022
Acrylique sur velours sur panneau de bois, 162 x 130 cm

 

O.C. : Cette relation entre écran et peinture m’interroge personnellement sur la place de la peinture à l’heure des écrans et, plus globalement, sur la place de l’art à notre époque, et notamment sur les missions auxquelles il peut prétendre en se sachant concurrencé par toutes les images, non artistiques, qui prolifèrent justement sur les écrans. Il y a un art porteur de valeurs politiques qui est très présent dans les institutions artistiques, et dont l’ambition sociétale me semble assez vaine au vu du nombre d’images porteuses d’autres valeurs circulant beaucoup plus rapidement dans le monde virtuel. Que pensez-vous de l’art qui se donne pour mission de dénoncer certaines situations ou d’en faire reconnaître d’autres comme légitimes ? Lui prêtez-vous une effectivité dans ses ambitions politiques ?

R.H. :  Je ne sais pas ce que serait un art non politique mais j’entends bien le politique au premier abord dont vous parlez. Il y a des gens qui ont fait des choses politiques très bien (Goya par exemple) et puis il y a des gens qui ont fait des choses qui sont de l’ordre de l’image. Il faut être très habile pour faire les deux. Je vois peu de personnes capables de faire ce genre de choses ; ce n’est qu’un avis personnel mais ce n’est déjà pas évident d’essayer de faire une peinture qui tienne un peu en tant que peinture après tous les grands artistes qui sont passés avant. Ce n’est déjà pas évident d’essayer de faire une peinture qui tienne un peu face aux images creuses. Comme je ne peux pas m’occuper de tous les sujets, je ne vais pas m’aventurer du côté de la politique, et je ne vais pas m’engager sur le champ de l’artiste résistant. Si le regardeur réfléchit, je pense que c’est déjà une part dans le politique qui est suffisante. Après, le reste, je n’ai pas de leçon de bien-pensance à donner, de politiquement correct ou incorrect à donner, ça ne m’intéresse pas. Il y a des époques courtes et il y a des effets courts, comme en peinture, c’est pareil. Il y a des époques courtes où il faut dénoncer ce que tout le monde dénonce.

O.C. : Justement, le second lien que j’ai vu entre le numérique et votre peinture est lié à la question de l’image. Habituellement, en peinture, de loin nous voyons une image, de près de la matière. Votre peinture produit l’effet exactement inverse, ce qui à mon sens est un renversement fondamental dont je ne mesure pas complètement la portée. Mais, avant de revenir sur ce point, j’aimerais vous demander comment en êtes-vous arrivé à faire ce geste qui est complètement « contre nature » en peinture, comment avez-vous eu cette idée de masquer la matérialité de la peinture de près tout en l’affichant de façon presque démonstrative de loin ?

R.H. : Je ne sais pas exactement mais c’est en faisant, en m’y confrontant, en me mettant en face, en usant la peinture et en voyant si je ne peux pas aller un peu plus loin. Ça fait maintenant cinq, six ans que je retravaille sur le velours. En fait, j’avais travaillé sur ce support il y a dix ans. C’est un affinage de trente ans de travail. Je commence un peu à voir ce que je cherche et à avoir l’audace de m’attaquer à ce qui est plus costaud, à savoir l’image. Il y a de gros pièges avec l’image ; ce n’est pas une petite question. Il ne faut pas tomber dans le piège de l’hyperréalisme. Je fonctionne plutôt par succession d’observations. Je raisonne intuitivement. Je suis, comme pas mal de peintres, un petit peu têtu. Je me dis qu’il y a quelque chose à faire avec ça alors ça fait une trentaine d’années que j’essaie de le travailler. Petit à petit, je m’aperçois que j’étais en train de le travailler depuis le début même si je n’en étais pas tout à fait conscient. Si l’on regarde les peintures que j’ai faites depuis 1995, c’est déjà présent. Dans ma première série j’avais essayé de peindre l’effet de la neige dans la télévision. C’était plus du feeling à l’époque. Je me disais qu’il y avait quelque chose d’intéressant parce qu’on regarde quelque chose où il n’y a rien. Et puis, ma peinture s’est nourrie de référents larges ; je vois beaucoup d’expositions, je regarde beaucoup de choses, et maintenant c’est rendu très facile avec tout ce qui circule sur le Net. J’essaie de me poser la question : quand est-ce qu’on bloque sur une image, qu’une image devient un peu plus qu’une image ? J’y vais surtout au feeling, je n’arrive pas à travailler ma peinture quand je réfléchis trop intellectuellement. C’est une autre forme de réflexion qui se fait.

 

Rémy Hysbergue, A 58122, 2022
Acrylique sur velours sur panneau de bois, 195 x 137cm

 

O.C. : Je voudrais revenir sur cette histoire de matière : j’aimerais revenir sur la portée de ce geste. Si, dans le cas habituel, on comprend que l’image est construite en faisant face à cette matière qui apparaît comme son échafaudage, que signifie de découvrir que derrière la matière il n’y a que de l’image ?  En sachant qu’en plus l’absence de matière est une illusion puisque vous peignez avec de la peinture.

R.H. : Je ne sais pas ce que ça produit. J’ai même envie de dire que je ne veux pas le savoir. Surtout pas. Je n’essaie pas d’emmener les regardeurs à un endroit précis. Je me dis qu’il y a peut-être une autre manière de faire de la peinture, de trouver un moyen de déplacer la place du spectateur, mais je ne veux pas y réfléchir parce que j’aurais peur de faire de l’illustration. C’est un grand piège dans lequel pas mal de gens sont tombés. Je revendique une relative imprécision à ce niveau. C’est une imprécision nécessaire : c’est ce type d’imprécision qui fait qu’on peut être touché par un autochrome ou par un film super 8 alors que l’image est de très mauvaise qualité. On voit vraiment le grain de l’image mais ça n’empêche qu’il se passe quelque chose par rapport à une caméra 4K. À un moment, la peinture pensait ça. N’importe quel peintre qui fait son travail sérieusement sait qu’avant de poser la peinture sur la toile il y a déjà quelque chose. C’est ce que je recherche en peinture. Ce n’est pas le « ça marche bien » ou « ça tourne bien » ; c’est triste quand on n’a que ça à dire sur une peinture. Je ne m’intéresse pas non plus à la recherche du bel effet. Il y a toujours eu des gens brillants pour faire des beaux effets selon les époques ; les pompiers, il y en a eu, il y en aura toujours.

O.C. : Avez-vous vu l’exposition Gérard Garouste au Centre Pompidou ?

R.H. : Non, j’ai vu toutes ses expositions en galerie, mais j’ai fait l’impasse sur celle de Beaubourg. C’est une peinture qui ne m’intéresse pas tellement. Je ne m’intéresse pas beaucoup aux peintures qui convoquent des monuments littéraires ou des célébrités. J’ai un immense intérêt pour la peinture orientale. Elle ne convoque pas de stars mais pourtant, on peut encore être à genoux devant une peinture coréenne du XVe. Quand Pierre Bonnard peint sa femme dans l’eau, on ne la connaissait pas mais on voit bien que ce moment-là était unique et qu’il a trouvé le moyen de le rendre unique. Quand Albert Marquet peint les quais de Seine, il n’y a rien de plus chiant, de plus touristique que de peindre les quais de Seine, mais il n’y a que lui qui les peint comme ça. Avec un coup de pinceau, il fait un mur, en 1923, l’audace ! Édouard Manet avec son asperge c’est pareil. Je pense qu’il faut vraiment être un géant pour convoquer de grandes références. Même Gerhard Richter, quand il fait des crânes, je trouve personnellement que ce n’est pas le meilleur. Je n’ai jamais aimé Francis Bacon pour la même raison. Je ne trouve pas vraiment de peinture là-dedans. C’est un très bon décorateur, il sait très bien manier la couleur mais Innocent X je m’en fous. C’est un peu comme les écrivains qui convoquent des stars ou des histoires du moment ; ce n’est pas ça qui rend Tolstoï important. Le sujet n’a jamais fait l’œuvre, ou seulement si c’est Victor Hugo qui le fait, mais tout le monde n’est pas Hugo. Il y a peu de choses que je suis sûr de ne jamais faire, mais faire le portrait de quelqu’un de connu, je n’en vois pas l’intérêt. Pour moi, ce n’est même pas une question de loupé ou pas loupé parce qu’il n’y a pas d’enjeu de peinture là-dedans. Sur la question du raté, on essaie tous. Le Greco, il y a des choses qui sont quelquefois vraiment limites mais malgré tout on ne peut que se dire « comment a-t-il pu peindre comme ça à cette époque-là ? » Il a réussi à se libérer de l’époque.

Les entretiens suivants sont à retrouver ICI et