A.Void, une performance participative en ligne

A.Void, une performance participative en ligne
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Les expériences d’art en ligne se sont multipliées au cours de ces dernières années pour nous proposer des évasions bienvenues notamment pendant ces périodes d’enfermements successifs imposés par les confinements. Devant nos ordinateurs ou nos smartphones, au cours d’un énième divertissement à distance, tout à coup les bras virtuels d’une conscience animée de pixels nous emportent au travers de l’écran et nous guident dans des mondes imaginaires. Telle est l’impression laissée par la performance participative en ligne A.Void d’Isadora Teles Castro et Silvia Circu[1],  à laquelle nous pouvions participer par l’intermédiaire de Radio Galoche[2] en décembre 2021, station depuis laquelle les artistes nous invitent en direct à rejoindre la performance participative en ligne.

 

Isadora Teles Castro et Silvia Cîrcu, A.Void, 2021 © https ://phd-isadora.github.io/project/avoid

 

L’expérience, d’une durée de 10 à 20 min, nous plonge au cœur d’une abstraction interactive, tant par sa charte graphique que par l’expérience qu’elle propose. Tout du long, nous sommes guidés par Isadora Teles Castro et Silvia Circu : nous nous laissons transporter à la découverte de dix scènes interactives qui se succèdent les unes après les autres.

Nous nous transposons dans le monde virtuel sous la forme de pixels et à peine une image de nous se dessine. Nous devenons des pixels dans un monde de pixels. Nos mouvements, captés par une webcam, influencent les déplacements des agents virtuels. Ces entités numériques habitent chacune des scènes et tentent ainsi d’entrer en contact avec nous via le seul mode de communication dont elles disposent : le mouvement graphique des pixels.

Bien que ces entités soient habitées d’une vie propre, les scènes sont en revanche déclenchées par les artistes, ce qui influence les réactions des entités ainsi que les conditions de la performance. Cela permet aux artistes de développer un système de régie à la fois en ligne et en temps réel : les oreilles dans les coulisses de la performance via les ondes de Radio Galoche, nous entendons Isadora et Silvia influer sur les scènes et les entités. Une régie en temps réel pour tenter de donner l’impulsion naturelle d’une improvisation théâtrale à cette performance en ligne 100% numérique. Par leurs choix, les artistes redonnent du corps à cette immatérielle virtualité nous proposant ainsi une expérience médiée. Elles expérimentent en temps réel les transformations proposées, ce qui permet de faire évoluer l’œuvre d’une manière toujours nouvelle. Leur expérience en temps réel de l’œuvre devient le vecteur de la nôtre.

La première scène nous emporte dans un monde collectif où nos pixels rencontrent d’autres pixels anonymes, chacun différencié par sa couleur. En revanche, dans les scènes qui suivent, l’intimité entre nous et les entités virtuelles se resserre. Nous vivons ainsi une relation privilégiée et individuelle avec elles. Nos pixels captés par webcam sont interprétés par les entités comme “du poison ou de la nourriture” selon les termes des artistes. Ainsi, lorsque les pixels qui nous représentent, guidés par nos mouvements, entrent en contact avec les entités virtuelles, nous pouvons soit faire naître une action, une forme ou une entité nouvelle soit au contraire les faire disparaître. Les mouvements de notre image étant interprétés différemment par chaque scène grâce à l’environnement « intelligent », ce qui déclenche les réactions des créatures.

 

Isadora Teles Castro et Silvia Cîrcu, A.Void, 2021 © https ://phd-isadora.github.io/project/avoid

 

Ainsi, un dialogue graphique et gestuel d’image à image s’engage entre notre corps, parfois réduit à de simples pixels de couleur, et les êtres virtuels de ces scènes. Notre image nous échappe car Silvia et Isadora paramètrent ce que le logiciel capte de nous et l’effet que nous produisons sur les entités virtuelles. Les artistes, par leur médiation en temps réel, deviennent les intermédiaires indispensables de cette rencontre de pixel à pixel. Nous vivons un devenir image dont nous ne maîtrisons pas le rendu. Cette forme d’art génératif (génération algorithmique) à l’issue complexe et hors de contrôle demande au spectateur de s’adapter à cette imprévisibilité en adoptant une forme d’interaction qui implique un lâcher-prise. En effet, à aucun moment nous ne pouvons savoir lesquels de nos pixels seront considérés comme du poison ou de la nourriture par les agents virtuels. Il est donc impossible de savoir quelles créatures survivront ou non.

D’une manière similaire aux comportements des entités, nos actions s’adaptent d’elles-mêmes à leur nouvel environnement, ce qui leur donne un aspect “programmé”. En effet, dès notre entrée dans le programme, des règles d’interaction nous sont assignées. De cette manière, nous adoptons un rôle au sein de ce monde préprogrammé. Nous fusionnons avec l’œuvre avec laquelle nous vivons presque un devenir automate cellulaire (cellular automata : système mathématique de simulation simplifiée des conditions autoreproductrices d’êtres vivants), puisqu’à aucun moment nous ne pouvons soumettre de nouvelles règles aux comportements de ce monde, bien que celui-ci s’adapte à notre présence et évolue d’une manière imprévisible. Le comportement de l’œuvre simule si bien l’autonomie qu’elle semble échapper à la fois à ses créatrices et aux spect-acteurs.

L’entretien à l’origine de cet article est disponible sous la forme d’un podcast sur la plateforme de notre partenaire scientifique 

 

[1] Œuvre réalisée dans le cadre de leurs thèses respectives au sein de l’équipe de recherche INREV (Images numériques et réalité virtuelle) du Laboratoire AIAC (Arts des images et art contemporain), de l’école doctorale EDESTA (Esthétique, sciences et technologies des Arts)

[2] http://www.galoche.online/podcasts : lien du site web actif uniquement pendant la durée de l’émission