Entretien avec Maxime Duveau

Entretien avec Maxime Duveau
Personnalités  -   Artistes

Lartiste Maxime Duveau répond à nos questions dans le cadre de son exposition « Carambolage à louverture de la pétanque cosmique ! » présentée à la galerie Espace à vendre à Nice.

Orianne Castel : Dans cette exposition, le spectateur retrouve, mêlés à d’autres, des motifs issus de clichés pris lors d’un bref séjour que vous avez effectué à Los Angeles en 2014. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs quel était le but de ce voyage et ce qu’il a initié dans votre pratique ?

Maxime Duveau : Initialement c’était un pèlerinage sur les terres du rock des 60s que je fantasmais énormément à cette époque et dont j’écoutais beaucoup la musique. L’idée était d’aller me confronter à la fois à cette terre de fiction personnelle et à son réel. Sur place j’ai pris énormément de photographies, sous forme de prises de notes visuelles des espaces que j’arpentais, moins des lieux historiques que j’allais pieusement visiter, que des avenues lambda que je traversais. En rentrant j’ai souhaité tout simplement prolonger ce voyage et j’ai alors commencé à les dessiner en partant de cette base d’images. C’est la première fois que je dessinais depuis une imagerie personnelle, ce qui a, me semble-t-il, eu son importance dans ma pratique.

 

Maison Cosmique, 135 x 100cm, sérigraphie et crayon sur papier, 2022.

 

O.C. : Vous avez réalisé ce voyage, très court, il y a maintenant presque dix ans. Dans vos nouvelles œuvres les motifs issus des photographies de Los Angeles se mêlent à d’autres qui sont extraits de clichés pris à Conflans-Sainte-Honorine. Ce carambolage des espaces est-il un moyen plastique d’exprimer l’entremêlement des temporalités dans votre mémoire ?

M.D. : À la base, lorsque j’ai commencé à amener Conflans-Sainte-Honorine dans mon travail, c’était plutôt dans l’idée de proposer un parallèle un peu absurde entre deux villes que tout oppose sur le papier. J’avais l’ambition un peu vaine d’essayer de rendre Conflans aussi sexy que LA. J’arrivais à la fin d’un cycle dédié à LA et la Californie plus généralement, et, dans ce grand voyage intérieur que je souhaitais continuer, ça me trottait dans la tête de parler de quelque chose de plus personnel et plus proche physiquement. Ma ville de banlieue parisienne résidentielle est sans grand intérêt plastique à première vue d’autant que je m’intéresse plus à la partie pavillonnaire qu’aux berges « impressionnistes » et aux péniches que tout le monde a en tête et qui sont évidemment plus sexys. Elle m’a cependant semblé pertinente pour différentes raisons et j’ai donc commencé progressivement à l’amener dans mes dessins.

Au final, rapidement, les deux espaces et les temporalités ont commencé à s’entremêler et depuis peu je me retrouve assez souvent perdu lorsque j’essaye de retrouver les différentes étapes de création de telle ou telle œuvre. Et tant mieux c’est assez plaisant.

O.C. : Dans certaines de vos œuvres, vous mêlez des motifs vus à Los Angeles et à Conflans-Sainte-Honorine à des motifs présents dans des lieux où vous avez eu l’occasion d’exposer ces images. Est-ce une façon de faire image de ce qu’est le souvenir, lequel se vide petit à petit de sa substance première mais s’enrichit de toutes les sensations et idées qu’il a fait naître en nous chaque fois qu’on se l’est remémoré ?

M.D. : Il y a quelque chose de cette idée clairement. Il y a certes le temps de création de chaque image à l’atelier mais, pour ma part, tout cela prend sa mesure et son autonomie dans les moments d’expositions. Chaque pièce vient alors ricocher avec l’autre et vivre dans l’espace avec lequel j’ai de plus en plus tendance à interagir. Au final, ces temps de pause dans la création sont ceux de l’observation de ce que j’ai pu réaliser, ils me permettent de voir comment les composantes/éléments de cet écosystème interagissent et se répondent. Et évidemment ce sont ces images-là que je garde en tête au fil du temps et qui vont s’altérer des sensations, des instants partagés avec les amis autour d’elles, de la lumière du jour, des ombres créées, de la fiction que je me suis racontée ou du motif du carrelage qui est venu jouer avec ceux des dessins. Ces décalages d’espaces physiques à des espaces plans, et les va-et-vient que cela crée, me plaisent énormément et font sens, il me semble, par rapport à ce que j’essaye de mettre en place autour d’une grande aventure plastique.

 

Bleu Polo & Nino, 40 x 40 cm, Sérigraphie, cyanotype, tampons et crayon sur papier, 2022.

 

O.C. : À propos de ce que vous cherchez à faire plastiquement, nombre de vos œuvres procèdent d’un détournement de processus visant à capter fidèlement la réalité visible, pouvez-vous nous en décrire quelques-uns et nous expliquer ce que chacun d’eux apporte à votre réflexion picturale ?

M.D. : D’une manière générale dans tous les procédés techniques que j’utilise je suis constamment à la recherche de l’accident, de ce qui fait « vie » pour moi et amène de l’inattendu. Que ce soit avec la sérigraphie, quand j’utilise des tampons, ou alors via le cyanotype. Pour le cyanotype par exemple, si la reproduction classique d’une photographie d’un espace induit notre projection physique et mentale en son sein, les petits accidents de floutage, de superposition, ou bien l’apparition de la vitre qui maintient le négatif à la surface du dessin pendant l’insolation, viennent brouiller ce rapport à l’image et notre position. C’est quelque chose qui m’intéresse particulièrement. Le rapport illusionniste d’une part et celui de l’objet plan et dessiné d’autre part, des réflexions assez courantes dans le rapport à l’image qu’entretiennent pas mal d’artistes aujourd’hui et depuis quelque temps.

O.C. : Concernant ce rapport au caractère illusionniste de l’image, il me semble que d’une exposition à l’autre, vos œuvres flirtent de plus en plus avec le registre de l’abstraction. Pour le spectateur la question de ce qui est représenté disparaît au profit de la question « comment l’image est-elle constituée ? », est-ce également le cas pour vous ? Est-ce que votre réflexion se porte de plus en plus sur ce qu’est la peinture et sous quel angle l’abordez-vous ?

M.D. : Dans la continuité de ce que j’ai pu raconter précédemment on arrive en effet de plus en plus vers des formes abstraites. C’est une sorte de suite logique j’ai l’impression. Mais je me suis toujours intéressé à ce double mouvement qui consiste, d’une part à se projeter dans la profondeur du dessin et des espaces représentés, d’autre part à poser des éléments qui ramènent à la surface et à la nature « d’image » de l’espace représenté. Le premier intérêt était particulièrement présent dans mes premiers dessins au fusain à mon retour de Californie. Il s’agissait, pour l’essentiel, de grands dessins format décor qui jouaient de cette volonté-là et rejouaient les décors hollywoodiens. Au fur et à mesure le second intérêt s’est intensifié dans ma pratique et j’ai recherché des gestes de surface ou de fond qui viennent parasiter la lecture de l’image à la surface. Cette volonté s’est développée parallèlement à mes diverses manipulations d’une même image qui nécessairement tendait à perdre en détails et à s’éloigner de plus en plus de l’image originale et de l’espace qu’elle voulait représenter. À la fin, ces deux aspects combinés m’ont amené à ces images qu’on peut considérer comme étant plus abstraites que les premières. Elles s’inscrivent dans une certaine réflexion sur la peinture qui m’intéresse depuis le début, bien que le fait de dessiner au fusain sur papier me classe plutôt du côté des dessinateurs en premier lieu.

 

EAV Cosmique, 56 x 76 cm, sérigraphie, tampons et crayon sur papier, 2022.

 

O.C. : On peut aussi interpréter votre façon de juxtaposer sur une même surface des parcelles d’une image et des reproductions de vues d’exposition présentant cette image comme une réflexion sur ce qu’est une image artistique. Est-ce que votre conception du dessin englobe nécessairement la question du lieu de son exposition ?

M.D. : Je ne pense pas que ce soit nécessairement le cas, mais dans mon aventure artistique personnelle c’est un point qui s’est présenté à moi en tout cas. J’ai toujours eu un rapport à l’espace qui était important. Que ce soit bien entendu dans les images que je choisissais de représenter, mais, très rapidement aussi, dans l’utilisation de l’espace d’exposition comme un élément majeur au même titre que les pièces que je présente à l’intérieur. Comme je l’ai dit je pense mes expositions comme des écosystèmes où les pièces existent ensemble et se répondent, se renforcent, résonnent. Le lieu et les interventions que je réalise à l’intérieur en font partie et dans le jeu de mise en abîme que j’ai mis en place à travers toutes mes manipulations d’images récurrentes d’espace, il m’a paru naturel d’y ramener les lieux d’expositions finalement.

De plus, depuis le début de ma pratique j’ai joué avec la mise à plat. Elle a commencé par la prise en photo des espaces californiens auxquels j’ai tenté, par la suite, de redonner de la profondeur et de l’épaisseur en les dessinant en grand au fusain. Le fait de reprendre ce dessin en photo, et de la remettre à son tour à plat (et ainsi de suite à chaque étape de création) m’amène assez logiquement à l’intégration de ces « mises à plat mises en espaces » – puis remises à plat. Bref, ce genre de jeu m’intéresse même si, pour moi, chaque pièce vise à être autonome. Ça peut sembler contradictoire, et je le pense pour la peinture en général, mais, dans mes questionnements actuels, j’aime penser que chaque exposition est un instant où différents acteurs viennent jouer leur propre partition dans un grand ensemble. Ils participent à un spectacle collectif de quelques jours ou semaines dans l’espace d’exposition puis repartent chacun dans différentes directions, chez des particuliers ou à mon atelier. Et peut-être qu’ils rejoueront un jour un autre concert, avec, suivant le projet, les mêmes coéquipiers ou non. Ils le feront dans un nouvel espace qui amènera un jeu différent intrinsèquement.

O.C. : Vous considérez donc l’exposition comme un moment T d’une trajectoire nécessairement évolutive. Il me semble que ce rapport à l’espace d’exposition envisagé à l’aune de la question du temps rejoint un des enjeux de votre pratique. Concevez-vous la peinture comme une tentative de saisir le réel apparaissant devant une conscience en mouvement ? Est-ce cette perception changeante dont vous voulez faire image ?

M.D. : En effet l’idée qu’un dessin ou une exposition soit un instant T d’une pratique me guide depuis le début. Ce qui m’intéresse aujourd’hui ne sera certainement pas ce qui m’intéressera demain, je l’espère en tout cas sinon ce sera un peu ennuyeux. On change, le réel change, nos réflexions sur celui-ci et sur la pratique artistique aussi. Du coup nécessairement cela se retrouve dans nos pièces et à une plus grande échelle chaque exposition que je mets en place doit en être le reflet. Avec ses maladresses, ses réussites, celle d’après sera peut-être « plus réussie » sur certains points mais moins sur d’autres, en tout cas elle vient fixer un instant d’une réflexion et d’une perception et c’est sous cet angle que j’aime travailler et vivre mes expositions. Chaque dessin/peinture tente de saisir des petits instants de pensées et l’exposition vient comme un instant T plus dense qui regrouperait tout cela.

 

Nonos Cosmiques, 167 x 127cm, cyanotype et crayon sur papier, 2022.

 

O.C. : Les conceptions de la peinture données par les tableaux sont nombreuses et différentes selon les artistes (composition, activité de peindre, expérience esthétique, etc.). En regardant les peintres de son époque Greenberg a situé leur définition de la peinture du côté du tableau dans sa matérialité. Il l’a fait en soulignant la mise en avant par ces artistes des éléments constitutifs de l’objet : toile, cadre, châssis. À ce titre j’ai été frappée par l’une de vos œuvres sur laquelle on voit une grande croix centrale évoquant un châssis, pourriez-vous nous expliquer ce choix ?

M.D. : Honnêtement je n’avais pas réellement pensé à la référence au châssis en réalisant cette pièce même si, maintenant, je vois que ça peut sauter aux yeux. Jusqu’ici je m’étais toujours donné comme cadre de réaliser mes images sur un seul et même papier. Mais après être passé à la couleur je me suis dit pourquoi ne pas déroger à cette règle aussi et ouvrir un peu plus mon champ des possibles. Foutu pour foutu… À vrai dire, c’était plutôt à la suite d’une exposition que j’ai vue de William Kentridge chez Marian Goodman, où faute de papier assez grand il avait collé plusieurs papiers sur une plus grande toile pour lier le tout. C’était quelque chose de purement pratique me semble-t-il. Mais visuellement les plis de la toile étaient vraiment très beaux et c’est quelque chose que j’ai voulu amener dans mon travail. De plus, je voulais que le fond de chacun des cyanotypes constituant l’œuvre présentée à Espace à vendre soit le miroir de celui du cyanotype exposé en face. C’est un système proche des tests de Rorschach pour la forme qui, finalement, revient un peu aux mêmes questions que de révéler la structure cachée du tableau. J’avais vu, dans cette même idée, une série de tableaux de Robert Longo qui avait dessiné des tableaux de maîtres passés aux rayons X dans lesquels le châssis apparaissait en superposition. C’est une chose qui traîne dans ma tête depuis un moment et rejoint un intérêt que je peux porter à mettre en avant le caractère plan de la toile/du papier et des gestes artistiques qui amènent à la formation de l’image finale

O.C. : Une dernière question : pour la première fois dans votre production des figures humaines apparaissent. Beaucoup d’entre elles sont représentées en train de jouer à la pétanque. Quel est le lien entre ce jeu mentionné dans le titre de l’exposition et les villes de Los Angeles et de Conflans Sainte-Honorine ?

M.D. : C’est parti du titre de ma première exposition personnelle qui en a amené un autre, puis un autre, puis un autre. Tout cela fait partie d’une même et seule aventure pour moi et, de ce fait, chaque titre d’exposition est en général un clin d’œil à la précédente comme un long fil continu. Le premier titre, tiré d’un livre de Thomas Pynchon que j’affectionne particulièrement, était « Une sorte de carambolage dans une partie de billard cosmique ». De fil en aiguille tout cela a avancé et, après avoir travaillé longuement sur les États-Unis, je voulais marquer le passage à Conflans-Sainte-Honorine. Ainsi, le billard est devenu de la pétanque, plus locale, et dans cette recherche d’images un peu plus personnelles dans laquelle je me trouve actuellement, j’ai décidé de venir fixer quelques instants importants pour moi, autour de parties en famille ou entre amis que j’amène discrètement et progressivement dans cet ensemble.