Un printemps finlandais à Paris

Un printemps finlandais à Paris
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À Paris et alentours, ce printemps est à l’heure finlandaise. Trois expositions évoquent en effet les contrées finnoises : au Petit Palais, Albert Edelfelt s’expose dans Lumières de Finlande ; au Musée Jacquemart-André, Akseli Gallen-Kallela déploie Mythes & Nature ; à Maisons-Laffitte, c’est 1882, un été nordique au château de Maisons. Les salles s’enchaînent, les paysages dominent. Sur des gammes chromatiques froides, la nature finlandaise s’offre dans des variations lumineuses de blancs, « fragments terrestres offerts à la lumière » (P. Valery, Cimetière marin) : blancs hivernaux, blancs de glace, blanc de neige, blancs métalliques, blancs lacustres, blancs aveuglants, blancs translucides, blancs mystérieux, blancs scintillants, blancs solaires. La lumière limpide des contrées finnoises marque l’art du Nord au tournant du XIXe et du XXe siècle, entre maîtrise naturaliste, influences impressionnistes, mouvances symbolistes et pleinarisme de scènes d’extérieur. Tapis de neige et de givre, étendues lacustres et autres horizons marins en signent l’identité forte. En 1886, le critique d’art Leroi affirmait : « c’est du Nord aujourd’hui que nous vient la lumière ». Les paysages des peintres finlandais sont de puissants poèmes symphoniques, un Chant de la Terre que Gustav Malher n’aurait pas renié, une Valse triste (op. 44, n°1) que Jean Sibélius, l’emblématique musicien finlandais, compose. Tout n’y est qu’incantations et beautés secrètes. 

C’est que le calme marmoréen des forêts enneigées sourd du plus profond des rumeurs légendaires qui la parcourent. Les runes du Kalevala, ces poèmes folkloriques chantés au coin du feu en hiver, racontent les mythes, au rythme du kantele, cette petite harpe finlandaise à cinq cordes. Ce sont des récits de création du monde, d’eau et d’air, de fécondation de nymphe par les vagues, de gestation de 700 ans, de naissances miraculeuses, de machines magiques, de vieux sages à longues barbes blanches. Le Kalevala, ce sont 50 chants et 23 000 vers. J. R. R. Tolkien y a puisé plusieurs de ses motifs pour son voyage en Terre du Milieu. Le vieux sage Väinümöinen devient le Gandolf du Hobbit et du Seigneur des anneaux. La langue elfique, forgée par Tolkien lui-même, est inspirée d’une grammaire finno-ougrienne. Le thème du forgeron merveilleux Illmarinen et l’art de forger l’anneau unique est liée à l’histoire de Sampo, ce four d’abondance éternelle qui conduit à la tragédie quiconque le manie. J. K. Rowling, à son tour, évoque les runes, lorsqu’Hermione (Granger) les étudie, « en cours optionnel », à partir de sa troisième année à Poudlard. Elle peut alors lire Le conte des Trois Frères pour faire progresser l’intrigue des Reliques de la mort, au tome 7 d’Harry Potter. 

C’est dire que la lumière septentrionale qui vient baigner Paris en ce printemps, au Petit Palais et à Jacquemart-André, s’origine dans les légendes les plus archaïques de la mythologie finnoise en un antagonisme primitif où le bien et le mal s’énoncent en termes de lumière et de ténèbres. Dans les années 1890 et 1900, l’heure est à l’émancipation politique. La Finlande, passée sous le joug de l’impérialisme russe, après avoir été soumise à la domination politique de la Suède pendant sept siècles – les 700 ans de gestation – et à la domination culturelle de l’Allemagne, construit son nationalisme. Les peintres Albert Edelfelt, Aleksi Gallen-Kalela, Ville Vallgren, le sculpteur Walter Runeberg, les musiciens Jean Sibélius, Oskar Merikanto, Robert Kajanus, l’écrivain Juhani Aho sont les figures emblématiques de cette revendication identitaire culturelle. Tous viennent puiser à Paris les techniques, les modes et les mouvances qui, seules, peuvent sublimer leur esthétique. Francophiles parce que nationalistes, les artistes se font ambassadeurs culturels. Entre Helsinki et Paris, ils deviennent citoyens du monde pour chanter l’âme de la Finlande. Le Portrait de Louis Pasteur (1886) par Albert Edelfelt, portrait célèbre entre tous du savant français, qui lui valut la consécration et la Légion d’honneur, exalte l’esprit positiviste de la IIIe République et vaut affirmation de modernité pour son pays. On l’aura compris, la passion pour les paysages d’où jaillit l’incandescence du blanc, emblème de bien et de liberté, est en soi chant de résistance et acte politique. 

Albert Edelfelt, lumières de Finlande, Musée du Petit-Palais, jusqu’au 10 juillet ; Gallen-Kallela : mythes & nature, Musée Jacquemart-André, jusqu’au 25 juillet ; 1882 : un été nordique à Maisons, château de Maisons, jusqu’au 27 juin.