Né à Hong Kong, vivant et travaillant entre la France et la Belgique, Wai Ming Lung commence tardivement une carrière d’artiste. Ses premières peintures, qui se caractérisent par une belle facilité technique, sont pourtant déjà convaincantes, notamment sa série consacrée à l’architecture brutaliste titrée KNKRT (pour Konkrete)
Pourriez-vous nous raconter votre parcours ? Comment en êtes-vous venu à la peinture ?
J’ai toujours aimé dessiner. Vers dix, onze ans, je créais des comics que je ne terminais jamais. C’est ce goût qui m’a poussé à faire l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris. Là, j’ai suivi la filière « Design textile », ce qui m’a permis de travailler dans la haute couture avec Christian Lacroix. Puis, au début du web, j’ai été graphiste, puis directeur de création en agence publicitaire, un métier plus rémunérateur que la mode. Je dessinais aussi des storyboards des films. J’ai ensuite fait du conseil pour des maisons de champagne et des chefs. À partir de 2018, j’ai commencé de faire des images que je postais sur Instagram. Un jour, j’ai reçu un message : quelqu’un me demandait s’il pouvait m’acheter une œuvre.
C’est cette demande qui vous a décidé à débuter une nouvelle carrière ?
Disons que cela m’a amené à me poser cette question. Je suis quelqu’un de réfléchi, d’organisé. J’ai donc commencé à me rendre en galerie à discuter avec des acteurs du monde de l’art. Puis, fin 2019, un ami m’a prêté un atelier à Paris ; et j’ai connu le plaisir de ce travail solitaire. Me lever chaque matin pour aller peindre. J’ai ainsi exécuté ma première série, SHDWBXNG (pour Shadow Boxing) qui a été exposée en 2021. À mes yeux la boxe est une métaphore de la peinture : on peut parfaire son geste à l’entrainement sans jamais monter sur un ring pour combattre, comme l’artiste peut peindre sans jamais exposer ses toiles. Cette série consiste en des portraits carrés de boxeur de 2 x 2 m à travers lesquels j’ai voulu introduire une certaine fragilité. La fragilité qui est en chacun de nous, même les combattants. D’où mon choix de peindre à l’encre de chine sur du papier de riz marouflé sur toile : les inévitables plis du papier sont comme autant de cicatrices.
Pourquoi ce choix de l’encre de chine ?
C’est à la fois un hommage à mes origines hongkongaises et une manière d’évoquer l’économie de moyen propre à la boxe. Bien boxer c’est savoir s’économiser, ne pas faire de gestes inutiles. En écho à ce minimalisme, j’ai choisi de n’utiliser qu’une couleur.
Votre série suivante est consacrée à l’architecture. Vous vous éloignez soudain des corps.
C’est vrai, mais le rapport au corps est toujours présent de manière indirecte, car sur chaque peinture on distingue une silhouette. Ici, l’homme apparaît comme écrasé par la monumentalité de ses propres créations. Je cherche à susciter chez le regardeur une émotion qui oscille entre la contemplation et le désespoir. Une qualité d’émotion que font naitre, par exemple, les œuvres du peintre prussien Caspar David Friedrich.
Là encore vous peignez à l’encre de Chine sur du papier de riz marouflé.
Oui, à l’encre de chine et à l’acrylique. Je teste beaucoup d’encres différentes et différentes dilutions. Je ne cherche pas à créer une impression d’hyperréalisme, mais une fidélité dans le traitement des matières. Quant aux imperfections du papier de riz, elles signifient que ces bâtiments de bétons, aussi monumentaux soient-ils, vieillissent mal. Ils vieillissent mal comme les idées qui les ont portés. Tous les bâtiments que j’ai sélectionnés viennent de pays qui étaient derrière le Rideau de Fer.
Portrait (c) Guillaume de Sardes, 2021