Paris rêvé, esthétisé, ressuscité : Proust au Musée Carnavalet

Paris rêvé, esthétisé, ressuscité : Proust au Musée Carnavalet
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À tous les amoureux de Proust, sans oublier les autres, le Musée Carnavalet offre une parenthèse enchantée : revisiter Paris à l’ombre de La Recherche du Temps perdu. À l’exposition Marcel Proust, Un roman parisien, ce sont 280 œuvres présentées, 35 institutions impliquées, 19 prêteurs privés sollicités et le tiers du fonds Carnavalet. L’idée s’imposait de réfléchir sur le Paris de Marcel Proust, mais étonnamment elle ne s’expose qu’aujourd’hui. Que serait en effet la Recherche sans Paris et ses avenues, ses jardins, ses hôtels particuliers, ses quartiers hausmanniens, ses cochers, ses victorias, son Bois de Boulogne, son Faubourg Saint-Germain, son Opéra, en ses loges plus qu’en sa scène, ses restaurants, Larue, Maxime et le Ritz ? Plus qu’une cartographie, le Paris de la Recherche est une ambiance. Plus qu’un quartier, le Faubourg Saint-Germain est une posture. Plus qu’une grande ville, la capitale est un état d’esprit. Au fil des salles, le visiteur appréhende un autre Paris que le Paris objectif : un Paris arpenté, fétichisé, stylisé, poétisé, reconstitué et ressuscité. Si le sujet général de l’œuvre reste bien le temps, Proust n’en a pas moins investi l’espace des mêmes lois psychologiques, le dotant de la même puissance de réminiscence, celle qui sourd des profondeurs de la sensibilité. Dans le ciel littéraire proustien, la topographie urbaine cède la place à la poétisation mémorielle, opérée par l’alchimie des images enfouies et ressuscitées dans l’obscurité et l’assourdissement de la chambre de liège, « ce lieu où la vie devient roman » (J.-Y. Tadié), au 102 boulevard Haussmann. 

Les lecteurs de la Recherche le savent : « Que peut nous faire ce qui n’est pas en nous ? » (Proust, Contre Sainte-Beuve). Les commissaires et autres scénographes de l’exposition tentent pourtant le travail critique d’ancrer les créations littéraires de personnages ou de lieux dans des réalités historiques avérées. D’où plusieurs portraits de Robert de Montesquiou, modèle supputé du baron de Charlus, de la comtesse Greffulhe portant la robe aux lys, muse éclipsée par sa création littéraire, la duchesse de Guermantes ; de Laura Hayman, l’inspiratrice du personnage d’Odette de Crécy. D’où ce Paris palimpseste : une ville des derniers feux de l’Empire, théâtre de l’Affaire Dreyfus, décor de la Belle Époque puis de 14-18 qui se mêle aux hauts lieux de la biographie proustienne : le 96 rue de la Fontaine, « l’Auteuil de mon enfance », le boulevard Malesherbes, la rue de Courcelles, le boulevard Haussmann, la rue Hamelin. Qu’ils soient boulevards, façades ou jardins, les lieux ne palpitent que de l’émotion liée à la présence des personnes qui leur sont attachées et ainsi l’évocation d’un nom de rue n’a de charme qu’au rythme des intermittences du cœur. Paris est ainsi, sous la plume de Marcel Proust, aussi fragmenté que peut l’être la conscience du narrateur dans l’entrelacement complexe de la réalité et de l’imaginaire, comme l’attestent les derniers mots Du côté de chez Swann :  « Il suffisait que Mme Swann n’arrivât pas toute pareille au même moment, pour que l’Avenue fût autre. Les lieux que nous avons connus n’appartiennent pas qu’au monde de l’espace où nous les situons pour plus de facilité. Ils n’étaient qu’une mince tranche au milieu d’impressions contiguës qui formaient notre vie d’alors ; le souvenir d’une certaine image n’est que le regret d’un certain instant ; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives, hélas, comme les années » (Proust, RTP, I, Du côté de chez Swann, éd. de la Pléiade, p. 427). 

 

« Marcel Proust : un roman parisien », Musée Carnavalet – Histoire de Paris, jusqu’au 10 avril 2022.

Illustration : René-Xavier Prinet, Le Balcon, 1905, © Caen, musée des Beaux-Arts / Patricia Touzard.