« The Green Path »

« The Green Path »
Dimitra Dede Glacier du Rhône, Photographie imprimée sur papier Canson, 51.5cm x 50cm, 2019 © l’artiste
À voir

« SHARING PERAMA » : partager Perama. Mais qu’est-ce que Perama ? Cette lointaine banlieue d’Athènes, en bord de mer Egée, a été créée il y a un siècle conséquemment à l’effondrement de l’Empire ottoman et le transfert de populations grecques depuis l’Asie mineure. Perama est aussi le terminal des ferrys pour Salamine et la mer Egée. Ce lieu d’habitat récent et moderniste rassemble une population, sinon marginalisée par la crise économique que connaît la Grèce depuis dix ans, à tout le moins maintenue aux frontières de la pauvreté. C’est là que Barbara Polla, qui préside aux destinées de la galerie Analix Forever (Genève), a amarré son bateau.

 

Martha Dimitropoulou, Bollard (bitte d’amarrage), aiguilles de pin, 54cm x 60cm x 42cm, 2021, © l’artiste

 

Pour quelle raison ? Polla a passé une partie de son adolescence à Perama et son intention aujourd’hui est de redonner, s’il se peut, un capital symbolique à cette périphérie athénienne laissée pour compte. Etayée sur un puissant travail collaboratif avec la Mairie de Perama (qui a mis à sa disposition le Musée de la Pêche et de la Construction des Bateaux de pêche, pour la circonstance rénové), en collaboration aussi avec l’artiste Marios Fournaris, co-commissaire de l’exposition, « The Green Path » présente treize artistes, dont dix sont grecs, autour du thème de l’écologie.

La manière conventionnelle d’aborder l’écologie, dans les arts visuels, est souvent pauvre et consensuelle (dessiner, présenter des végétaux…). On peut toutefois, loin des lieux communs, aborder la question autrement. L’écologie, toujours, naît de la crise, d’une crise des relations entre l’individu et son environnement immédiat ou non, local ou cosmique. Que faire de cette crise ? La convertir en propositions visuelles et sémantiques qui constituent, non pas une décoration, ni l’espérance d’un réenchantement prochain, mais une réflexion critique et profonde sur la nature même de la crise plus que sur ses seuls effets.

 

Dimitra Dede The fourth incision, Photographie imprimée sur papier Canson, 50 cm x 35.7 cm, 2019 © l’artiste

 

Dimitra Dede réfléchit ainsi à la notion de suture, ici évoquée à partir de photographies très précises reportées sur papier Canson. La suture, en l’occurrence, est plus que la rejonction de deux choses séparées – une stratégie de reconstruction, de réélaboration. Martha Dimitripoulou, elle, offre au regard de curieuses sculptures d’objets ordinaires – ici, de façon contextuelle, une bite d’amarrage mais façonnée au moyen d’épines de pin collées les unes aux autres. Avec cette poétique du collage et de l’objet familier, Dimitropoulou invite à imaginer un monde qui aurait pu être construit autrement, mieux, sans être caractérisé par l’agression ou l’extraction, ces formes notoires de prédation liées à la culture industrielle moderne. Autre exemple : les curieux oiseaux dessinés par Maro Michalakakos, de grands flamands roses, élégants, sont tous représentés dans une position qui connote l’empêchement, l’entrave, le geste mal négocié et, qui sait, l’échec. Michalakakos offre au spectateur un constat simple : la crise, avant d’être l’effet de circonstances externes dérangeantes, aliénantes ou anesthésiantes, est  avant tout le résultat d’une incapacité d’adaptation liée à l’impréparation ou à l’empressement.

Maro Michalakakos, Attempt to untie the knot #1, aquarelle sur papier, 76cm x 56 cm, 2020, © l’artiste

 

Chacune des œuvres sélectionnées par Fournaris et Polla va dans ce sens. L’impression demeure qu’avant d’être écologique, de qualité environnementale, la crise profonde des liaisons que nous enregistrons avec l’anthropocène est avant tout une question mentale. La solution à cette crise, sans doute, passe par une correction radicale de nos pratiques vitales, notamment en termes de consommation et d’activités polluantes. Cette solution, plus encore, est affaire de reconfiguration mentale. L’humain doit oublier son haut potentiel de création et d’innovation, son éthos prométhéen, la mystification qu’il a instituée en se posant comme un acteur majeur du monde. Chaque œuvre ici évoque la nécessité d’un retour à l’examen de soi, d’un retour à un sentiment non pas tant de déception par rapport à la difficile situation actuelle mais au contraire de lucidité dans l’appréciation de soi. L’écologie n’est pas d’abord l’humain remettant de l’ordre dans le monde, mais l’humain remettant de l’ordre en lui-même.

Dans le musée de la Pêche où prend place l’exposition « The Green Path », on découvre encore tout ce qui incarne l’ingéniosité humaine en matière de maîtrise nautique de l’eau. Cette enveloppe de l’exposition est signifiante. Elle suggère qu’une même maîtrise pour contrer la crise écologique est exigée de l’humain, autant en matière d’ingénierie concrète qu’en termes d’ingénierie mentale.

 

Une exposition de Marios Fournaris & Barbara Polla, avec les œuvres de Manolis Baboussis, Janet Biggs, Lydia Dambassina, Dimitra Dede, Martha Dimitropoulou, Marios Fournaris, Kyriaki Goni, Ali Kazma, Virginia Mastrogiannaki, Maro Michalakakos, Robert Montgomery, Pavlos Nikolakopoulos, Giorgos Tsakiris à découvrir les jeudis et vendredis de 18 à 21h, jusqu’au 19 novembre au Musée de la Pêche et de la Construction des bateaux de Pêche À Perama, Leoforos Dimocratias & M. Kouri, 18863 Athènes, Grèce.