Vient de paraître aux éditions T&P PUBLISHING de Paris le livre Paperboard dirigé par les universitaires Laurence Corbel et Christophe Viart. Sous-titré La conférence performance : artistes et cas d’étude, cet ouvrage collectif rend compte d’une recherche au long cours sur cette pratique bien inscrite dans le paysage mais encore peu documentée. Il établit une cartographie des pratiques de la conférence performance en se centrant sur les XXème et XXIème siècles.
Particulièrement travaillé dans son design graphique, le livre se divise en deux parties identifiables sur la couverture et la quatrième de couverture. Ces deux faces montrent en effet les lettres A et B séparées par une simple ligne. Détail d’une photographie présente dans l’ouvrage, cette image est le témoin d’une conférence performance effectuée par l’artiste Eric Duyckaerts en 2013. Mimant les postures du conférencier, l’artiste avait, comme à son habitude, utilisé un paperboard pour accompagner son discours improvisé. Mais la répartition en deux parties peut également se comprendre comme une réponse aux intentions formulées par le directeur du Musée de la danse de Rennes dès l’avant-propos. « La conférence, traditionnellement, est frontale. Nous nous sommes beaucoup interrogés à Rennes pour proposer le contraire » écrit Boris Charmatz dont l’institution a accueilli plusieurs rencontres sur ce thème. Les textes disposés en vis-à-vis dessinent une frontalité « pas forcément dissoute mais rejouée différemment ». Ils permettent de mettre en discussion les différentes approches du sujet.
La première partie accueille ainsi des contributions présentant des conférences performances s’inscrivant dans le cadre de la transmission. De l’ordre de la méta-conférence, la parole déployée souligne l’enjeu pédagogique de l’exercice. Entremêlant documentations sur des conférences performances contemporaines s’inscrivant dans ce répertoire (Jean-Philippe Antoine ou Robert Cantarella) et essais de théoriciens sur des artistes connus, elle permet de saisir l’inventivité de ce discours sur le discours tout en posant des repères historiques incontournables. Décortiquant les étapes préparatoires aux conférences de Joshua Reynolds, Jan Blanc souligne ainsi les ambitions de sérieux du peintre anglais. Alexander Streitberger analyse pour sa part l’usage du mot-outil « et » dans les discours de l’artiste contemporain américain Peter Downsbrough. La mise à nue du métalangage propre à certaines conférences performances permet ainsi de déconstruire la figure de l’artiste « malhabile à trouver ses mots comme ses idées » selon le lieu commun relevé par Christophe Viart dans la conclusion de l’ouvrage.
Poursuivant ce même principe d’alternance entre discours académiques et discours artistiques, la seconde partie présente des conférences performances qui s’inscrivent dans un cadre plus théâtral. Elle met à jour les dispositifs scéniques dont jouent certains artistes et insiste sur l’ambition critique de cette pratique. On y retrouve la documentation de conférences performances participant de ce registre (Esther Ferrer ou Judith Deschamps) mais aussi les études de cas menées par Anaël Lejeune et Pauline Le Boulba. La première montre la façon dont la conférence performance 21.3 de l’artiste américain Robert Morris coupe court à toute tentative d’interprétation autoritaire des œuvres. La seconde souligne la façon dont le chorégraphe français Xavier Le Roy déhiérarchise systématiquement les savoirs dit universels. A travers cet autre type de performance, l’artiste se fait critique en mettant à jour les « conventions qui gouvernent tout rite du paraître en public » jusqu’à « ébranler la position d’autorité du spécialiste » comme l’écrit encore Christophe Viart.
Ainsi, la réversibilité du discours, qui apparaît à travers la structure du livre en deux parties, est rejouée à l’intérieur même de celles-ci. Dans chacune d’elles, les discours d’artistes côtoient ceux de théoriciens utilisant des outils méthodologiques différents (esthétique, histoire de l’art, sciences de l’art). Paroles d’artistes et paroles de chercheurs alternent car, comme l’écrit Laurence Corbel dans l’introduction de l’ouvrage, « la conférence se décline sous des formes mixtes qui débordent le seul champ des arts plastiques et brouillent les cloisonnements disciplinaires ». Cette mise en abîme de la pensée dialogique à l’intérieur des parties permet de souligner à quel point les différences ne sont pas fondamentales. A la manière d’Yves Klein, réalisant une conférence performance éminemment théâtrale mais l’effectuant dans ce lieu de transmission par excellence qu’est la Sorbonne, elle montre comment conceptions savantes et prises de paroles décalées doivent se comprendre comme les deux faces d’une même feuille.
Dirigé par des spécialistes des discours d’artistes (Laurence Corbel a notamment publié un livre intitulé Le Discours de l’art de l’art. Écrits d’artistes (1960-1980) et Christophe Viart un ouvrage titré Les Mots de la pratique. Dits et écrits d’artistes), l’originalité de ce livre réside dans la navigation entre réflexion et activation qu’il propose. Ludique par sa forme mais exigeant dans son contenu, cet ouvrage de plus de 200 pages richement illustré est disponible en librairie depuis le 15 mars.