Dana Hoey : Pilgrim, Puritan, Whore

Dana Hoey : Pilgrim, Puritan, Whore
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La dernière œuvre de Dana Hoey, Pilgrim, Puritan, Whore (Pèlerin, puritain, pute), est un chef-d’œuvre, créé tout exprès, en quelques semaines, pour l’exposition MATRIOCHKAS à la galerie genevoise Analix Forever – une exposition réunissant du 12 mars au 26 avril 2021 deux femmes, Rachel Labastie et Laure Tixier, dont le travail nous parle d’enfermement, pour la première de l’enfermement des femmes, pour la seconde de l’enfermement des enfants et des corps. L’exposition s’accompagne d’un programme vidéo, avec Janet Biggs, Dana Hoey, Randa Maddah, Joanna Malinowska, Rachel Labastie, Guendalina Salini et Laure Tixier. 

Les Matriochkas, poupées russes ? Pas seulement. Matriochkas en l’occurrence fait référence à toutes les femmes que nous portons en nous, chacune de nous, les femmes de notre passé, nos aïeules, leurs vies, leurs enfermements, qui nous enferment à notre tour dans tout ce qu’elles ont vécu avant nous. Et paradoxalement, ce sont aussi tous les possibles en nous, toutes nos identités, tout ce que nous pouvons devenir. Vues ainsi, les Matriochkas sont un oxymoron entre emprisonnements et possibles. 

Dana Hoey dans sa vidéos Pilgrim, Puritan, Whore attribue d’emblée une triple identité à la femme qu’elle met en scène, qui n’est autre qu’elle-même. Une femme en tenue Amish – la communauté religieuse chrétienne issue d’anabaptistes suisses et alsaciens, fondée en 1693 à Sainte-Marie-aux-Mines, aujourd’hui vivant  principalement en Pennsylvanie et suivant un mode de vie à part entière, refusant toute modernité – transporte des blocs de pierre, dans la neige. Une jeune fille transporte le bois suivant les indications d’un jeune homme puis les rôles s’inversent. La femme se défait progressivement de ses vêtements, sans se dénuder, jusqu’à ce qu’elle apparaisse dans un T-shirt sur lequel on lit « Hysterical Female ».  

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On la retrouve ensuite, sagement assise au coin de l’âtre, comme il se doit, tricotant sans aiguilles un écheveau de laine vierge. À l’aube, au milieu des cris et des chants des animaux saluant le soleil, elle va jeter les cendres dans la neige. 

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Une vidéo d’une grande simplicité, des images d’une stupéfiante beauté. Rien n’est expliqué, Dana Hoey n’est pas dans une position didactique, mais tout est suggéré. La femme Amish est une représentation parfaite des enfermements que nous nous laissons imposer, des chaînes transmises de génération en génération. Quand elle se défait de ses vêtements Amish, on croit percevoir une révolte contre le statu quo, même si le visage de la femme reste impassible. Elle apparaît alors dans un nouvel uniforme, celui d’ « hysterical female », une épithète pleine de mépris dont le bon Docteur Freud et bien d’autres à sa suite ont affublé globalement toutes les femmes tentant d’une manière ou d’une autre une révolution contre leur état de dominées – un refus de leurs enfermements. Mais après avoir tenté physiquement d’abattre les barrières, voilà que la Matriochka se retrouve auprès de l’âtre, à sa place et dans sa position séculaires. L’ « hysterical female », la pute, est rentrée dans la coque extérieure de la puritaine. 

Entre temps, une jeune fille Amish transporte du bois, sous les indications d’un jeune homme. Mais ensuite les rôles s’inversent : c’est le jeune homme qui transporte le bois sous la supervision de la jeune fille. Signe d’espoir : les jeunes générations ont la possibilité de changer le monde, Amish ou non. Ils sont l’un des possibles que les Matriochkas portent en elles.

Finalement, la femme sort de la maison, les cendres de l’âtre dans un seau, comme les restes de sa vie de recluse, et les jette dans le vent. À ce geste magique, tel un geste de sorcière, la forêt tout entière entonne son salut au soleil de l’aube. La femme, toute enfermée qu’elle soit socialement parlant, garde en elle ce possible : son lien au monde « asocial », ou autrement social, celui de la terre, de la nature, des animaux, des cycles. Mais alors que l’aube pourrait signifier un autre signe de renaissance, la femme s’en retourne en direction de sa maison, seau vide et tête basse. Le passé n’est pas encore passé.

 

Pilgrim, Puritan, Whore, 2021, cell phone video, in camera sound, 9 minutes 53 secs, ed. unique with 2 APs.