Une fenêtre sur le monde, de Gabès à Video Forever

Une fenêtre sur le monde, de Gabès à Video Forever
À voir

Le festival Gabès Cinéma Fen est un festival de cinéma, comme son nom l’indique, mais pas seulement : c’est un festival ouvert sur l’art contemporain et notamment la vidéo d’art. Ainsi se préparait, sous la direction de Fatma Kilani et le commissariat de Paul Ardenne le festival vidéo associé, dans un bunker dénommé El Kazma, sur la plage gabésienne, dans des conteneurs situés le long du front de mer, dans des cafés en ville, au Centre des Congrès. Mais comme tant d’autres manifestations artistiques et culturelles pourtant essentielles, Gabès Cinéma Fen s’est retrouvé online. Qu’à cela ne tienne, il recèle des trésors accessibles et visibles aussi bien sur le site du festival lui-même que sur la Cinémathèque de Saint-Étienne (https://www.facebook.com/isabelle.saintecinematheque/posts/899241523869548?notif_id=1586263306920370&notif_t=mention) et sur VIDEO FOREVER (https://videoforever.wordpress.com/) .

Le but du festival – comme de la Cinémathèque et de VIDEO FOREVER d’ailleurs – est de mieux faire connaître la vidéo, ce médium artistique très vivant depuis les années 1960 mais qui trouve encore souvent des difficultés à être exposé. Une vidéo d’artiste, en effet, peut être très courte ou indéfiniment longue, elle peut être présentée sur un seul ou sur plusieurs écrans en même temps ou peut faire l’objet d’installations ; ses contenus, plutôt que narratifs, sont davantage sensoriels, poétiques, philosophiques, politiques aussi, ce qui rend la vidéo d’art ou vidéo d’exposition souvent difficile à offrir en spectacle. Finalement, l’intimité qui doit se créer entre la vidéo d’art et le spectateur est parfaitement respectée par le visionnement sur écran privé : réjouissons-nous, alors, de retrouver online la sélection de Gabès Cinéma Fen ! Cette sélection est particulièrement ouverte et vise avant tout à faire découvrir la pluralité des propositions, leur mystère, leur intimité, leur poésie.

Aux côtés de vidéastes internationalement reconnus tels Ali Kazma (Turquie), Janet Biggs (USA) et mounir fatmi (Maroc/France), on trouve des vidéos précieuses d’artistes moins connus, à tout le moins sous nos latitudes : je retiendrai en particulier Randa Maddah, Souad Mani et Ala Eddine Slim.

Randa Maddah, Light Horizon, 2012, vidéo, 7’22.
Une femme simplement de noir vêtue nettoie méticuleusement une pièce d’une maison en ruine. Des tentures blanches, fines, transparentes, volent dans le vent qui souffle sur les hauts du Golan. Après avoir nettoyé, la femme installe une table, une chaise, et surtout, suspend un tableau. Alighiero Boetti disait que la civilisation commence quand on dessine ou suspend quelque chose sur les murs, fut-ce d’une grotte. Ici d’une ruine. Puis la femme s’assied sur la chaise et contemple le paysage. Ici, dans cette mise en scène très pure, très sobre, non seulement la civilisation commence, mais elle recommence, après la destruction. La beauté sauvera le monde ; la beauté sauvera cette maison en ruine ; l’art lui rend la civilisation égarée par la guerre. Une vidéo poignante, sur la réparation encore possible.
À visionner ici : https://bit.ly/2JOLgRK, jusqu’au 15 avril à minuit.

Souad Mani, De mythes et de choses, 2017, vidéo, 15’12’’.
Sous-titrée Impressions embarquées, cette vidéo est le compte-rendu d’une exploration nocturne clandestine, en Tunisie. L’artiste filme tandis que des appareils relèvent des données indiquant probablement les taux de pollution locale. Le spectateur ressent physiquement l’interdiction, celle de voir, de regarder, d’être là ; il se sent, comme l’artiste, voyeur, en pleine effraction, punissable. La nuit, les lumières, les voix de ceux qu’on ne voit pas, le sentiment d’insécurité, d’incompréhension, de viol des règles, la mobilité constante de la caméra, le flou : un ensemble immersif, poétique, voire érotique, jouant sur une ligne fluide entre rêve et réalité. À visionner ici : https://bit.ly/39KhGri, jusqu’au 15 avril à minuit.

Ala Eddine Slim, Le Stade, 2010, moyen métrage, 23’57’’.
Le Stade, court-métrage écrit, produit et réalisé par Ala Eddine Slim, nous fait suivre le temps d’un match de football la traversée nocturne d’une ville par un homme accompagné de son chien, dont la présence souligne la solitude de l’homme. L’homme fume cigarette sur cigarette, lumière dans la nuit épaisse. Il s’arrête, le temps d’un sandwich. Il est beau, profondément marqué, parfois il nous regarde droit dans les yeux. Il est jeté à terre par un groupe de jeunes gens : on ne voit que le geste, inutile, et les lunettes brisées. Il se relève, reprend sa route. Les commentaires sur le match créent un fond sonore qui parle de défaite, et en interroge la cause. On voudrait en savoir davantage sur cet homme et son errance. Les plus beaux films, comme les plus belles histoires d’amour, sont ceux qui nous laissent inassouvis.
À visionner ici : https://bit.ly/2yE3H9z, jusqu’au 15 avril à minuit.

Illustration : Radda Maddah, Light horizon, video still, 2012.