Raymond Depardon nous commente l’exposition qui le consacre

Raymond Depardon nous commente l’exposition qui le consacre
Raymond Depardon.
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Au Musée du Service de Santé des Armées, au sein du Val-de-Grâce à Paris, se tient jusqu’au 30 janvier 2020, une exposition exceptionnelle : Raymond Depardon, 1962/1963, photographie militaire. Elle revient sur cette année de service obligatoire que le futur maître a effectué en faisant ce qu’il sait faire le mieux : prendre des photos, pour le compte du magazine TAM (Terre-Air-Mer), sorte de Paris Match militaire. En tout, il prendra plus de 2 000 clichés qu’il ne verra jamais pour la plupart. A ses côtés, des appelés qui seront célèbres à leur tour : Francis Veber, Philippe Labro ou encore Jacques Séguéla. Raymond Depardon a fait un retour en arrière de 57 ans pour cette exposition qu’il nous commente en exclusivité, les souvenirs ressurgissant peu à peu…

Raymond Depardon en 1962 et maintenant.

 

L’exposition s’ouvre sur un portrait juvénile de Raymond Depardon, 22 ans, tenant un appareil photo à la main. 57 ans plus tard, il tient toujours un appareil à bout de bras et s’amuse de découvrir une carte de France de tous les endroits où il est allé pendant son service militaire. « Je suis surpris de cette carte de France. Je ne me souvenais pas que j’avais déjà parcouru l’Hexagone à partir de juillet 1962. Je ne savais pas qu’il existait des photographes militaires, avant d’en voir en Algérie, dans la rue. Quand il a été décidé de faire un journal de qualité, « TAM », j’ai fait partie des trois photographes alors en service, pendant 12 mois. J’avais travaillé en agence auparavant, mais jamais pour un journal. J’étais doté d’un Rolleiflex avec téléobjectif et grand angle, du matériel qui valait très cher. J’ai fait neuf couvertures sur les douze mois de service. J’avais fait mes classes auparavant. On est alors à quelques mois de l’indépendance de l’Algérie, mais on peut déjà voir des manœuvres avec les Allemands, les Marines… Il y avait donc beaucoup de choses à photographier, comme les chasseurs alpins qui grimpent sur le Mont Blanc. Moi, je l’ai monté en hélicoptère ! On travaillait avec des pseudonymes, car on réalisait chacun plusieurs reportages par numéro, cela donnait l’impression d’une grosse équipe ».

Raymond Depardon.

 

Raymond Depardon, force tranquille, regard bleu azur, contemple chaque photographie avec un plaisir évident. « Ce sont des images importantes pour moi, car l’humain n’est jamais très loin. Même si je ne fais pas partie du mouvement humaniste, je photographie l’humain avant tout. Je n’avais que deux ans de métier à l’époque, ce qui était très peu. On dit qu’il faut au moins dix ans pour être photographe. J’étais réticent au départ à l’idée de montrer ces photos. Je ne les connaissais pas, j’en avais un souvenir romantique, mais je n’étais pas certain que cela puisse faire une exposition. Mais finalement, c’est comme un portfolio de mes débuts. J’ai appris sur le tas et ce fut pour moi une belle école ».

Pour certaines d’entre elles, une émotion particulière, comme celle qui montre des ouvriers au sein de l’usine de Saint-Médard, ce qui était interdit : « J’ai failli aller en prison avec cette photo, mais heureusement, on a pu trouver un arrangement ! » Raymond n’avait pas froid aux yeux, des résurgences de ses deux années en agence de presse. « Là-bas, les photographes étaient un peu voyous. Mais j’ai appris avec eux qu’il fallait toujours faire des photos en mouvement et ils m’ont inculqué l’importance du cadrage et du contre-jour. J’avais alors 19 ans. On ne connaissait pas l’école française de la photographie comme Cartier-Bresson. Dans les librairies, on trouvait surtout le travail de la photo américaine ».

Les premiers clichés de l’exposition sont composés de photographies de manœuvres. « C’était une obsession à l’époque, même si en arrière-plan, j’y ai mis d’autres choses, comme cette photo d’une ferme que j’aime beaucoup, car il elle me rappelle ma propre enfance à la ferme, quand les soldats américains sont arrivés en 1948 et avec qui, mon frère et moi échangions des pommes contre des chewing-gums ». On observe aussi des plans pris à bord d’un avion, d’un porte-avion ou d’un bateau. « Le bateau, c’était la première fois de ma vie pour moi. On mangeait avec le commandant, ça n’avait rien à voir avec la vie en caserne. C’est plus strict sur un bateau, mais pour autant, les marins étaient plus déchaînés sitôt dans leurs quartiers ».

« Une journée au SHAPE (Supreme Headquarters Allied Powers for Europe), Rocquencourt, 1962 ». © Raymond Depardon/TAM/ECPAD/Défense/PAR 76-3.

 

On découvre aussi des photos plus promotionnelles (« la consommation était déjà présente, ce qui me permettait de rester à Paris où je vivais, dans un meublé derrière les Grands Boulevards »), de salon agricole ou de salons des arts ménagers. « Toute une époque ! » Mais aussi des Américains et de leur manière de vivre en France. « Ils s’étaient installés au Bois de Boulogne, dans leur quartier appelé le SHAPE, où ils disposaient de leur propre magasin aux produits en taxes libres. Mes amis me demandaient de leur prendre des cigarettes américaines et des zippos, quand j’allais au SHAPE faire des reportages ». Ou encore des enfants de troupe, à Aix-en-Provence, avec un cliché mis en scène de toute beauté : « Je suis d’ailleurs surpris par cette mise en scène, toute en ombres chinoises, diaphragmée, une manière de photographier qui ne se fait plus beaucoup de nos jours ».

Raymond Depardon.

 

Un peu plus loin, des photographies en couleurs, rares. « J’avais le droit à un peu de films en couleur pour une semaine de reportage : trois pellicules noir et blanc et une de couleur. Je faisais du coup très peu de photos, pour ne pas gâcher, ce qui est tout le contraire de ce que l’on fait de nos jours… » Et à la fin de l’exposition, la diffusion du tout premier film de Depardon cinéaste… « Je l’ai réalisé pour « Journal de France ». Je voulais devenir caméraman, je ne voulais pas être photographe professionnel. On pensait à l’époque en effet que le journalisme de presse écrite serait remplacé par la télévision. C’est un petit film en plan-séquence. On me disait de ne pas couper, on filmait sans pied, on marchait en filmant, alors que c’était une caméra très lourde, en acier allemand ».

L’exposition se termine. On sent Raymond Depardon visiblement ému, avec une humilité rare, de celle des grands. « Sans m’en rendre compte, finalement, en un an de photos, c’est comme si j’avais fait un reportage sur le service militaire ! C’est l’armée qui a fait le tirage de ces photos, je n’ai pas eu le droit à un traitement de faveur. Cela a un côté parfois un peu froid et strict, mais je trouve que cela cadre très bien avec cette exposition, surtout dans un tel lieu ! »