Peggy Guggenheim, première galeriste de l’avant-garde américaine

Peggy Guggenheim, première galeriste de l’avant-garde américaine
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Née en 1898 à New York, Peggy Guggenheim est la fille d’un riche banquier new-yorkais et la nièce de l’industriel et amateur d’art Solomon Guggenheim qui créera en 1937 la Fondation Solomon R. Guggenheim pour y déposer l’ensemble de sa collection.

Orpheline de père depuis ses quatorze ans, Guggenheim se retrouve à la tête d’une grande fortune après le décès de son grand-père en 1919. À cette époque, elle fréquente de nombreux intellectuels épris d’art européen qui la convainquent de se rendre sur le vieux continent. Âgée de vingt-trois ans, elle quitte les États-Unis pour la France et achète un appartement à Paris ainsi qu’une villa à Pramousquier dans le sud de la France.

Dans la capitale, elle se lie d’amitié avec Constantin Brâncuşi et fréquente Marcel Duchamp et Jean Cocteau qui l’initient à l’art moderne. Cependant, en 1928, elle rencontre à Saint-Tropez, le critique littéraire anglais John Ferrar Holms avec lequel elle part vivre à Londres. Elle reste néanmoins en contact avec l’avant-garde française et achète même, au milieu des années 1930, la première pièce de sa collection, la sculpture en laiton poli intitulée Tête et coquillage de Jean Arp. Dix ans après leur installation à Londres et alors que son compagnon est décédé depuis quatre ans, Guggenheim ouvre sa première galerie dont le nom Guggenheim’s Young témoigne de son ambition : représenter de jeunes artistes encore peu connus. Pour sa première exposition, elle choisit de montrer les sculptures de son ami Brâncuşi avant de présenter les peintures surréalistes et abstraites d’Yves Tanguy et de Vassily Kandinsky et de s’assurer la reconnaissance du milieu artistique londonien.

Marc Chagall, « La Pluie », 1911 © La Fondation Solomon R. Guggenheim Collection Peggy Guggenheim, Venise, 1976.

 

En 1939, anticipant sur le concept de « résidence d’artistes », Guggenheim retourne en France dans le but d’acheter un château qu’elle souhaite mettre à disposition d’une communauté d’artistes. Le projet n’aboutit pas mais elle profite de son séjour pour accroître sa collection. Toujours conseillée par Marcel Duchamp mais aussi par Herbert Read et Petra von Doesburg, elle se met en tête d’acquérir une pièce par jour et investit plus de 40.000 dollars dans divers œuvres, achetant des réalisations caractéristiques de tous les grands mouvements de l’époque : cubisme, futurisme, constructivisme, abstraction géométrique, dadaisme et surréalisme.

Elle constitue une collection impressionnante pour laquelle elle doit néanmoins très vite trouver un abri puisque la guerre éclate à la fin de l’année. Guggenheim décide alors de la rapatrier aux États-Unis, ce qu’elle fait en 1941 après avoir obtenu l’aval de l’ambassadeur des États-Unis et l’aide d’un de ses anciens transporteurs qui fait expédier l’ensemble des œuvres sous le titre « articles mobiliers ». Avant d’embarquer elle-même pour son pays d’origine, elle use de la réputation de sa famille, des nombreuses relations qui lui sont affiliées et de son argent personnel pour aider ses amis artistes à fuir l’Europe. Parmi eux se trouvent André Breton et surtout Max Ernst dont elle a fait la rencontre peu de temps avant et avec qui elle se marie aux États-Unis l’année suivante.

Joseph Cornell, « Setting for a Fairy Tale », 1942 © La Fondation Solomon R. Guggenheim Collection Peggy Guggenheim, Venise, 1976.

 

L’année 1942 est aussi celle où Guggenheim fonde sa galerie new-yorkaise Art of the Century au sein de laquelle elle expose les pièces de sa collection constituée en Europe mais également les œuvres d’artistes exilés qu’elle cherche à faire vivre. Selon un dispositif d’accrochage innovant (les tableaux sont suspendus dans l’espace et ne possèdent pas de cadre), elle présente au public américain le travail de Paul Klee, de Marc Chagall comme celui de Marcel Duchamp et sa galerie devient un lieu d’inspiration pour les jeunes artistes américains qui empruntent formes abstraites et procédés surréalistes pour exprimer leur propre histoire.

Guggenheim décide de représenter cette avant-garde américaine dès 1943 (année de son divorce avec Max Ernst). Après avoir montré l’un des pionniers de l’assemblage Joseph Cornell, elle se spécialise dans la défense de l’expressionnisme abstrait, exposant tour à tour, William Baziotes, Adolf Gottlieb, Robert Motherwell, Mark Rothko ou encore Jackson Pollock.

Cependant, elle obtient en 1945 un visa pour étudier l’art européen et, lorsqu’elle revient à New York l’année suivante après avoir vécu entre Paris et Venise, c’est pour fermer les portes de sa galerie. Elle repart d’ailleurs à Venise trois ans plus tard pour s’installer définitivement dans le Palazzo Venier dei Leoni où elle fait installer les deux cents peintures et sculptures qui composent sa collection. Peggy ouvre cet espace au public à partir de 1951 et en fait don à la Fondation Solomon R. Guggenheim en 1971. Elle continue cependant d’y vivre jusqu’à sa mort en 1979, s’occupant d’art africain et précolombien.

Jackson Pollock, « Circumcision », 1946 © La Fondation Solomon R. Guggenheim Collection Peggy Guggenheim, Venise, 1976.

 

Femme passionnée plus que femme d’affaires (elle s’était offusquée de la tournure commerciale de l’art contemporain lors de l’inauguration du musée de son oncle à New York en 1959), Guggenheim n’en a pas moins constitué une collection qui compte parmi les plus complètes de l’art du XXe, regroupant des œuvres de l’avant-garde européenne comme de l’avant-garde américaine. Cependant, elle était moins une collectionneuse qu’une galeriste au sens fort du terme ; elle a découvert et montré des talents dans lesquels elle croyait. Mais, plus encore, en favorisant la rencontre entre les artistes européens confirmés et les jeunes artistes américains, elle a littéralement contribué à la création de cet art américain et, en assurant le rôle de mécène de cette génération que personne à l’époque ne se risquait à acheter, elle lui a permis de continuer à créer et de trouver son propre style.