Pavlos Nikolakopoulos : le Logos & la Nuit

Pavlos Nikolakopoulos : le Logos & la Nuit
À voir

Pavlos Nikolakopoulos est un artiste de la renaissance, un artiste de la pensée et des mots, un artiste dont la vie intérieure est aussi riche que la vie sociale. Plusieurs étapes marquent cette vie d’artiste déjà longue. D’abord un foisonnement de mots, dans ses carnets qui sont autant des œuvres d’art que de pensée, un foisonnement de dessins, de conflits intérieurs, une richesse des formes, une charge de messages, politiques comme intimes. Puis, en parallèle avec la crise grecque, la disparition progressive des messages lisibles, pour laisser la place à l’essentiel : un vide apparent. Les sculptures de métal comme les dessins évoluent vers une mise en abyme des sensations et se confrontent à une esthétique philosophique, contemplative et physique. L’exploration de la géométrie devient primordiale, de même que celle du risque et de la menace : une œuvre de métal repose sur la pointe de la lame d’un couteau à cran d’arrêt ; 23 lames toutes différentes génèrent un reflet de sang sur le mur (Silent Peace) ; la stabilité géométrique disparaît au profit de l’oblique – sans oublier l’organique : Nikolakopoulos aime les dents, les os, le contact avec le sol.

Une nouvelle période de création commence avec l’épiphanie, en janvier 2019. Nikolakopoulos crée une nuit, la Nuit du Logos, telle une œuvre d’art, et réunit une cinquantaine de lecteurs, intellectuels, poètes, vidéastes, musiciens… autour de cinq thèmes : trahison, distorsion, défaite, dissimulation et oubli. Avec cette Nuit du Logos, Nikolakopoulos a suscité bien plus qu’une réunion d’intellectuels : il a inventé une logique, une nouvelle manière de créer avec des mots, comme un dessin de la nuit ; il s’est créé lui-même, aussi. Épiphanie : quelque chose apparaît – en l’occurrence une affirmation d’artiste, commissaire et critique, et en outre une prise de position, au-delà même des œuvres plastiques.

Avec WHITE AND, exposition personnelle méticuleusement préparée pendant des mois dans son propre atelier rendu immaculé pour la circonstance, Nikolakopoulos propose un Acte 2 à la nuit du Logos. Il en reprend les cinq thèmes et leur donne cette fois-ci une forme plastique : la trahison devient un grand cercle de métal acéré reposant sur un os humain, un cercle qui pourrait à tout instant écraser tout ou partie de l’humain ; la distorsion, une guillotine derrière laquelle le bleu suggère l’infini du ciel ; la dissimulation, la re-présentation de conflits historiques, précédemment dessinés par Nikolakopoulos, présentés désormais comme une fine dentelle blanche serrée dans un étau et dont la beauté dissimule l’horreur ; la défaite, la restitution du son de la Nuit du Logos, mais inaudible : elle semble sortir du mur, comme un souffle, balayée par les vents ; et l’oubli, une marche d’escalier, la première de cet escalier en colimaçon que l’artiste a entièrement peint en rouge, une marche qui est restée blanche. Mais est-ce la première marche ou la dernière ? Où est le début, où est la fin ?

Deux œuvres supplémentaires complètent cette exposition qui est elle-même une œuvre totale. La première est une référence au cinéaste grec Theo Angelopoulos et à son film Le pas suspendu de la cigogne : sur la marche de l’entrée – ou de la sortie – de son atelier, Nikolakopoulos a gravé dans sa langue, qui est aussi celle d’Angelopoulos : « un pas et tu es ailleurs ». Dans l’espace blanc de Nikolakopoulos, nous sommes dans un ailleurs protégé, chéri, dans un espace de pensée où circulent de puissantes évidences que nous ne pouvons voir qu’en déposant nos masques à l’entrée. En sortant, un pas et nous sommes ailleurs. Dans le réalité d’une rue d’Athènes, où la création se confronte à chaque instant à l’impuissance. La seconde oeuvre est formée d’un marteau et un clou, entre fonction et symbole, entre mémoire et menace, le geste retenu. Et sous un grand drap blanc, dissimulées, volontairement oubliées mais jamais trahies, les œuvres des périodes précédentes : WHITE – AND.

32-34 Matrozou, Koukaki, Athènes – exposition jusqu’à fin juillet 2019, sur RV : pavlos.nikolako@gmail.com

Commissariat : Barbara Polla, Analix Forever