La peinture sans concession de Barnett Newman

La peinture sans concession de Barnett Newman
Barnett Newman, The Stations of the Cross, Lema Sabachthani, Twelfth Station [detail], 1965
Personnalités  -   Artistes

Né à Manhattan en janvier 1905, Barnett Newman est le fils d’un couple d’immigrés polonais juifs qui lui inculquent une éducation religieuse. Après le lycée, il s’inscrit à l’Université de New York pour étudier la philosophie. Pendant ses études, il fréquente les galeries et les musées et peint des œuvres impressionnistes. Dès ses 25 ans, il devient, tout en continuant à peindre, critique d’art et commissaire d’expositions. Dans le contexte de crise mondiale des années 1930, Newman pense l’art par rapport aux événements politiques. « La peinture est finie, nous devrions tous l’abandonner » écrit-il dès le début de la Seconde Guerre Mondiale. Après Pearl Harbor, Hiroshima et la découverte des camps, l’impuissance de la peinture lui paraît plus évidente encore. « J’ai dû partir de zéro, comme si la peinture n’avait jamais existé, autre manière de dire que la peinture était morte » affirme-t-il rétrospectivement dans un entretien donné à Émile de Antonio en 1970. La peinture narrative de la figuration et la peinture formelle des premiers abstraits ne convainquent plus Newman qui s’engage alors dans l’expressionisme abstrait. Ses premières toiles se réfèrent à des événements cosmiques ou mythologiques comme en témoigne le titre de l’œuvre Euclidean Abyss (1946) qui constitue sa première vente.

Barnett Newman, Onement 1, 1948

 

En 1948, Newman crée Onement I qu’il considère être sa première œuvre. Cette toile rectangulaire verticale au fond rouge brun est scindée en son centre par une bande d’un rouge plus clair aux contours imparfaits. L’artiste nomme cet élément vertical qui traverse le tableau « zip » en référence à une fermeture éclair qui diviserait et relierait les deux parties de la toile. Newman écrit à propos de cette œuvre en 1965 : « J’ai réalisé que j’avais fait une déclaration qui m’affectait et qui était, je pense, le début de ma vie présente, parce que j’ai dû à partir de cet instant abandonner toute relation à la nature telle qu’elle est perçue. » À la suite de cette découverte, Newman cesse son activité critique pour se consacrer à la peinture et travaille à d’autres versions d’Onement. En 1950, il réalise un tableau au format inhabituel. Intitulée The Wild, cette toile de 4,1 cm de largeur par 243 cm de hauteur présente une bande cuivrée d’environ 2 cm de large sur un fond bleu clair. Avec cette œuvre, l’artiste démontre que l’aspect le plus important de ses toiles est le fameux « zip » et non pas la relation entre les surfaces colorées. Il montre aussi que l’important pour lui ne réside pas dans le format mais dans l’échelle comme il l’affirme dans une interview donnée en 1966 : « Je crois qu’elle (la toile The Wild) se tient comme tout grand tableau que j’ai jamais peint. Il s’agit du problème de l’échelle, et l’échelle est une question de sentiment. » Comme nombre d’artistes de l’expressionnisme abstrait, Newman ne cherche pas à faire les tableaux les plus grands qui soient mais à créer un espace à taille humaine qui permette au spectateur d’entrer dans sa peinture. Un peu plus tard, Newman décline son « zip » en trois dimensions avec une première sculpture intitulée Here I qui donne lieu, elle aussi, à plusieurs déclinaisons. Avec ces œuvres délestées de la toile, il affirme que le « zip » ne se limite pas aux rapports à l’intérieur du support mais ouvre à l’espace tout entier.

Barnett Newman, Stations of the Cross, Lema Sabachthani, 1958

 

En 1957, Newman est victime d’une crise cardiaque. Cet accident est à l’origine d’une nouvelle phase qu’il entame en 1958 avec la série de peintures Stations of the Cross. L’artiste crée quatorze toiles en référence aux quatorze stations de souffrance de La Passion du Christ. Ces toiles abstraites composées de zips extrêmement délimités ou au contraire effrangés peints sur des toiles non préparées ne représentent pas les stations. Le sujet n’est d’ailleurs pas venu immédiatement à Newman comme il l’explique dans une interview : « J’ai commencé ces tableaux, il y a huit ans, de la même manière que je commence tous mes tableaux, en peignant. C’est en peignant (c’était le quatrième) que j’ai réalisé que j’avais ici quelque chose de particulier. À ce moment-là, l’intensité que je sentais dans ces tableaux me fit penser aux Stations du Chemin de Croix. » Réalisée dans des teintes de noir et de blanc, cette série contraste avec le travail ultérieur de Newman qui commence à utiliser les couleurs primaires à partir de 1966, son œuvre la plus connue étant celle intitulée Who’s afraid of Red, Yellow and Blue ? C’est aussi durant cette période que Newman commence à travailler à la fabrication de sa sculpture monumentale Broken Obelisk dont la structure en triangle lui donne l’idée de créer des peintures triangulaires. Ces œuvres en triangle, toujours traversées de « zip » qui alternent entre couleurs vives (Chartres, 1969) et couleurs sombres (Jericho, 1969), constituent ces dernières expérimentations, Newman succombant à une crise cardiaque en juillet 1970.

Barnett Newman, Yellow Painting, 1949

 

Trop abstraite pour les expressionnistes, trop expressionniste pour les abstraits, comme il le disait lui-même, sa peinture a été, à l’image de son « zip », une recherche constante d’équilibre. Newman souhaitait que ses tableaux soient le lieu d’une communion du spectateur avec lui-même et avec les autres. « J’espère que ma peinture peut donner à chacun, comme elle l’a fait pour moi, la sensation de sa propre totalité, de sa propre existence séparée, de sa propre individualité, et en même temps de sa connexion avec les autres, qui existent aussi séparément » écrivait-il. Lui qui fut l’un des rares artistes de sa génération à refuser de participer au programme gouvernemental d’aide aux artistes (Work Progress Administration) estimant que cet argent était celui de l’isolationnisme donnait à l’abstraction un potentiel social, voire politique. Ainsi écrivait-il : « On m’a demandé ce que signifiait vraiment ma peinture par rapport à la société, par rapport au monde, par rapport à la conjoncture. J’ai répondu que si mon travail était correctement compris, ce serait la fin du capitalisme et du totalitarisme d’État. Mon travail, en termes d’impact social, signifie la possibilité d’une société ouverte, d’un monde ouvert et non d’un monde institutionnel fermé. »