Hommage à l’art minimal

Hommage à l’art minimal
"Monumental Minimal", vu de l’exposition, © Galerie Thaddaeus Ropac.
À voir

L’exposition Monumental Minimal qui se tient à la galerie Thaddaeus Ropac à Pantin jusqu’au 23 mars présente vingt œuvres d’artistes majeurs du minimalisme américain, Carl Andre, Dan Flavin, Donald Judd, Sol LeWitt, Robert Mangold et Robert Morris.

Les pièces exposées témoignent de la cohérence formelle de ce mouvement né dans les années soixante. Elles sont faites de combinaisons de formes géométriques simples conçues majoritairement dans des matériaux industriels à l’image des lignes en néons fluorescents de Dan Flavin et des plaques carrées de cuivre et de calcaire de Carl André. La première structure est accrochée au mur, la seconde posée sur le sol ; les deux remettent en cause la conception classique de la peinture et de la sculpture. De même, le dessin mural # 1176 de Sol LeWitt fait sauter la notion de cadre en recouvrant la totalité du mur quand sa sculpture constituée de cubes vides directement installée sur le sol abandonne le concept de socle. Si les œuvres destinées à une présentation murale refusent la planéité (grand concept de la peinture moderniste américaine) alors que celles appelées à être montrées au sol se déprennent de la verticalité (propre aux sculptures traditionnelles), c’est parce qu’elles s’opposent à la destinée expressive de l’art abstrait américain des années cinquante comme à la vocation narrative de l’art classique. Ces peintures en 3D et sculptures en 2D sont nommées specific objects dans le texte du même nom publié en 1865 dans lequel Donald Judd annonce la fin d’une vision académique de l’art en abolissant la distinction entre sculpture et peinture. Les œuvres sont désormais des objets dont la vocation est de révéler l’espace environnant. Ainsi, si l’installation de Carl Andre matérialise l’espace au sol, l’éclairage produit par celle de Dan Flavin procure une consistance au mur. Ces deux pièces portent sur la perception des objets dans leur rapport à l’espace ; elles nécessitent une participation du spectateur qui peut ainsi marcher sur l’œuvre d’Andre pour rejoindre celle de Flavin. Les œuvres sont englobantes car, comme le dit Judd, « les trois dimensions sont l’espace réel » et c’est la raison pour laquelle, dans ses structures intitulées Stacks, le nombre d’éléments accrochés verticalement sur le mur varie en fonction de la hauteur de plafond. Dans ces pièces, les intervalles d’espace entre les éléments doivent avoir la même hauteur que les parties pleines car ils font partie intégrante de l’œuvre. Suivant le même principe, nombre de travaux présentés dans cette exposition ont déjà été montrés dans d’autres lieux dans des dimensions différentes.

Monumental Minimal, vu de l’exposition, © Galerie Thaddaeus Ropac.

 

Ici l’art minimal se fait monumental comme l’indique le titre de l’exposition car les œuvres répondent au format de la galerie, une ancienne usine de chaudronnerie que l’autrichien Thaddaeus Ropac a transformée en galerie d’art. Les 2 000 m² de surface d’exposition permettent de présenter des œuvres de grand format mais le terme monumental ne renvoie pas seulement au gigantisme du lieu et des œuvres qui y sont exposées. Il fait appel à la notion de commémoration et interroge le rapport des artistes minimalistes aux œuvres emblématiques de l’histoire de l’art. Si les pionniers de ce mouvement prônaient leur inscription dans le présent en travaillant les matériaux industriels et en utilisant les formes de l’architecture moderne (le fameux « Less is more » de l’architecte Mies Van der Rohe), ils se positionnaient également face à leurs prédécesseurs. Ainsi Ad Reinhardt, bien que peintre, est considéré comme le précurseur de l’art minimal. Ses Ultimate Paintings, « les dernières peintures que l’on peut peindre » selon sa propre expression, expérimentent les limites de ce qui constitue la visibilité d’une œuvre. Réalisées de 1960 à sa mort, ces peintures presque entièrement noires dont la structure cruciforme centrale est à peine discernable introduisent également la pratique de la série, chère aux minimalistes. C’est ce rapport aux œuvres passées qu’explore cette exposition en présentant des œuvres comme celle de Dans Flavin intitulée « Monument » for V. Tatlin réalisée en 1967 qui est un hommage au Monument à la Troisième Internationale que l’artiste constructiviste russe Vladimir Tatlin a conçu en 1920. De même, les œuvres modulaires de Carl Andre sont inspirées d’une sculpture de l’artiste roumain Constantin Brâncuși. Andre déclarait à leur propos : « Je ne fais que poser la Colonne sans fin de Brancusi à même le sol au lieu de la dresser vers le ciel ». Enfin, les peintures de Robert Mangold comme Red/green X within X #2  s’inscrivent dans la lignée de celles de Piet Mondrian par l’attention portée aux rapports formels à l’intérieur de la toile.

« Monumental Minimal », vu de l’exposition, © Galerie Thaddaeus Ropac.

 

Si le terme « monumental » dans le titre renvoie au positionnement des minimalistes envers les artistes qui les ont précédés, il peut aussi se lire comme un hommage rendu à leur propre apport à l’histoire de l’art. Cette impression est renforcée par l’aspect très solennel de cette exposition dans laquelle la pureté des formes fait écho à l’espace immaculé de la galerie. L’atmosphère qui s’en dégage invite à la méditation et nous incite à réfléchir à l’héritage légué par les artistes de ce mouvement radical. Si les matériaux et les formes n’ont pas vieilli (ce sont encore ceux qui font notre quotidien), nous ne pouvons qu’être frappés par le fait que ces figures et matières ont largement disparu du champ de l’art. De même, le titre de l’exposition, juxtaposition de deux termes, est très éloigné du lyrisme que l’on voit poindre actuellement chez les jeunes artistes dont les titres des expositions forment souvent des phrases poétiques. En ce sens, l’absence de Franck Stella, auteur de la formule emblématique « What you see is what you see », est un choix significatif. L’est aussi l’installation des œuvres de l’artiste de la même génération Robert Mangold dans la dernière salle de l’exposition. Peintes à la main et réalisées sur toiles, ses peintures présentent des formes plus rondes et moins régulières que celles auxquelles les minimalistes nous ont habituées. Elles ouvrent la voix aux générations suivantes.