Fonder tout ce qui n’existe pas encore

Fonder tout ce qui n’existe pas encore
À voir

Le 1er février 2019, Frank Smith présentait au Centre Pompidou, dans le cadre de Hors Pistes, son dernier film, Un Film à jamais, qui rejoint la série de ses Films : Le Film des questions, Le Film des visages, Le Film de l’impossible, Le Film du dehors et Les Films du monde – et peut-être un jour Le Film de l’horizon. Cet horizon si présent dans Un Film à jamais qu’il pourrait bien appeler Frank Smith à nous le donner à voir encore.

Comme une rencontre avec Gina Pane alors, Situation idéale : Terre-artiste-ciel. Rencontre entre le trait vertical de l’homme, de la femme, et  la ligne horizontale, de l’horizon. Rencontre avec L’Amour de Marguerite Duras, tandis qu’ « À l’autre bout de la plage, le long de la digue, la marche a repris. » Mais si L’amour de Marguerite Duras aura été l’une des inspirations initiales d’Un Film à jamais, au tout début de la pensée de sa conception, en cours de travail le film s’en est distancié pour devenir totalement « smithien ».

Un Film à jamais, réalisé en séquences de durée toutes identiques (de 2’45’’ (durée totale 98’), tournées à Lanzarote puis dans la Baie de la Somme, rejoint, tel un palimpseste, Le Film des questions. Un palimpseste enrichi par les questions que pose Un Film à jamais et par la revivance de la voix de Garance Clavel qui nous questionnait déjà dans Le Film des questions, écho féminin, ici, de la voix de Frank Smith lui-même. Deux voix d’une étoffe similaire, joignant la douceur des inflexions à la radicalité des adresses. On se frotte à la rudesse des plans.

  • ET QUE VOIT-ON EN REGARDANT AINSI À TRAVERS CE LANGAGE ? QUE VOIT-ON AINSI EN PÉNÉTRANT DANS L’ÉPAISSEUR DU MONDE ?
  • C’EST COMME SI LE RÉEL ET L’IMAGINAIRE COURRAIENT L’UN DERRIÈRE L’AUTRE, ALORS ?

Le film s’ouvre sur des images de fin du monde, dans une lumière éblouissante, une fournaise étouffante, le chant affolé des oiseaux et autres fauteurs de sons : allons-nous survivre dans cette épaisseur physique ? La lumière monte, ouvre, montre l’espace qui grandit et nous croyons discerner peu à peu, indiscernable d’abord, une maison peut-être, inhabitée sans doute – qui pourrait habiter là ? – réelle ou imaginaire ? Il faudra revoir le film pour croire savoir… Nous sommes dans une sculpture de lumière, où étouffer en beauté. On regarde longtemps la lumière.

PASSER D’UNE PHRASE À UNE AUTRE PHRASE, C’EST TOUJOURS ARRIVER AU LANGAGE, NON ?

La langue comme prison – la langue comme liberté. Pour que la langue-prison devienne langue-liberté,  pour ouvrir une fenêtre dans le réel, s’en échapper et s’y ancrer à la fois, il faut « arriver au langage » – il faut le recréer. C’est ce que tente Frank Smith avec chaque nouvelle parcelle de son œuvre : réinventer le langage. Avec une telle efficacité qu’on peut désormais parler « Frank Smith ». Commencer par remplacer je, nous ils, par on. Remplacer tous les points par des interrogations. Écouter la musique de la voix. Ouvrir de nouvelles fenêtres : traverser la montagne plutôt de la surmonter.

UNE QUESTION COMME UNE MONTAGNE À̀ SURMONTER : QUOI ENCORE, QUOI ICI ENCORE, QUOI MAINTENANT ICI ENCORE ?

Cela ne fait désormais plus aucun doute : Frank Smith a inventé Frank Smith, le langage de Frank Smith, un langage de mots et d’images, un nouveau langage, une nouvelle « languimage », que l’on peut apprendre, reprendre, comprendre. Le film le dit : IL FAUT REPRENDRE, IL FAUT RECOMMENCER. Il faut fonder tout ce qui n’existe pas encore. Frank Smith a accouché de Frank Smith, dans le bruit du vent et des vagues, le vent qui bat le monde.

CE N’EST PAS LA POÉSIE QUI FAIT LA POÉSIE, nous dit encore Garance Clavel. C’est Frank Smith qui fait la poésie. LA FORCE DU DÉSIR, OUI.

POUR POUVOIR RECOMMENCER, QU’IL RENAISSE DE LUI, L’HUMAIN, SI VOUS VOULEZ.

UN FILM À JAMAIS

Un film écrit et réalisé par Frank Smith
Avec Garance Clavel et Julien Monty
Voix Garance Clavel et Frank Smith
Mise en situation chorégraphique François Laroche-Valière Image et montage Arnold Pasquier

Mixage Ivan Gariel
Chargé de production Thomas Peyres

Production Les films du Zigzag, avec l’aide du Centre Pompidou,

Paris, 98’, 2019