Espace oblique

Espace oblique
Geneviève Claisse, "Hadrons", 1975. Acrylic on canvas - 97 x 130 cm.
À voir

En attendant l’exposition hommage consacrée à la peintre abstraite géométrique Geneviève Claisse décédée en avril 2018, qui débutera le 17 janvier 2019, l’espace Marais de la galerie Denise René propose une exposition sur le thème de l’oblique. Cette galerie qui va bientôt fêter ses soixante-quinze ans a puisé dans son imposant fonds d’œuvres abstraites de la tendance géométrique pour répondre à cette thématique.

La pièce la plus ancienne de cette exposition, une sculpture de fer noir intitulée Problème de forme réalisée par l’artiste Jacobsen en 1953 était déjà présente lors de l’exposition historique qui fit connaître la galerie en 1955. Si à cette époque, elle était montrée aux côtés des œuvres de Duchamp, de Calder ou de Vasarely, elle côtoie aujourd’hui des œuvres contemporaines, notamment celle de Pe Lang, intitulée Color | nº 21 1+1EA réalisée en 2018. Au mouvement élégant, cette sculpture minimale dont le mécanisme a été fait à la main s’inscrit dans la tradition constructiviste, chaque élément de la structure étant nécessaire au fonctionnement de l’ensemble.

Fidèle au titre de l’exposition qui fit la notoriété de la galerie, Le Mouvement, l’exposition actuelle présente plusieurs autres œuvres mobiles. Le public peut ainsi se laisser hypnotiser par le déplacement organique des tiges d’acier inoxydable de la structure Aristote construite par le sculpteur cinétique Anne Lilly en 2007 ou par le balancement des légères baguettes assemblées à la manière d’une suspension par l’artiste Knopp Ferro pour sa sculpture Konstruktion 20:33 réalisée en 2012.

Enfin, si la galerie n’a pas changé de ligne depuis son ouverture en 1945, elle s’est ouverte aux nouvelles technologies. L’exposition Espace oblique présente ainsi une œuvre interactive du sculpteur Santiago Torres, un écran tactile orienté en portrait au sein duquel le spectateur peut modifier la place et la couleur des éléments de la composition. Cette proposition ludique de l’artiste vénézuélien formé aux côtés de pionniers de l’art cinétique et cybernétique comme Nicolas Schöffer et Julio Le Parc reste dans la continuité des choix de la galerie Denise René dont l’exposition Le Mouvement défendait non seulement des sculptures mobiles mais aussi des peintures cinétiques en présentant des artistes comme Soto ou Agam.

Francisco Sobrino,
« Structure permutationnelle », 1959-67.
Acrylic on canvas – 120 x 120 cm.

 

En mêlant pièces historiques et œuvres récentes, l’exposition montre les développements des artistes se définissant comme abstraits géométriques. Cette transformation est particulièrement visible à travers l’œuvre délicate du peintre et sculpteur japonais Haruhiko Sunagawa nommée Triangle dans le cube 04-I. Cette structure en verre réalisée en 2004 reprend les formes de l’abstraction, trois triangles matérialisés par des fils très fins aux extrémités desquels l’artiste a apposé de petites pierres. L’ajout d’éléments minéraux brise la rigueur des formes géométriques et rend l’ensemble fragile et poétique. Une ambiance sereine émane de cette œuvre qui évolue au gré des variations de lumière et nous transporte très loin de l’idéal constructiviste.

L’ensemble de l’exposition joue de ces écarts avec la tradition, à l’image de la Composition spatio-temporelle multivisuelle n° 124 réalisée par Jean Gorin en 1975. L’artiste qui avait réalisé sa première peinture abstraite en 1925 avait découvert l’œuvre de Piet Mondrian l’année suivante. Il n’avait cessé dès lors de s’en inspirer tout en assouplissant son approche, introduisant le relief au sein de la surface plane, reprenant le code couleur primaire mais détournant les lignes verticales et horizontales du maître du néoplasticisme en diagonales.

De manière générale, dans ce jeu avec la tradition, l’exposition propose un élargissement qui n’est pas un reniement mais au contraire un enrichissement. Adopter l’oblique comme un pas de côté pour que l’abstraction géométrique reste un mouvement vivant.

Jakob Bill,
« 1997 n°2 », 1997.
Oil on canvas – 90 x 90 cm.

 

Un pari réussi comme en témoigne la très belle œuvre CCCCLVIII d’Anne Blanchet, artiste tout autant marquée par l’abstraction géométrique que par le minimalisme et l’art conceptuel. Avec cette œuvre, simple plaque de plexiglas unie rétroéclairée, incisée à l’intérieur mais entièrement lisse à sa surface, elle nous propose une expérience subtile à la limite du seuil de perception : un léger relief qui apparaît sur la surface blanche.

À voir aussi, la sculpture Balance, 2/2017 de l’artiste Hans Kooi qui se compose de deux blocs de bois qui tendent à tomber l’un sur l’autre mais se situent l’un à côté de l’autre, maintenus en équilibre par la force de l’aimant qu’ils contiennent l’un et l’autre. Une tension entre attraction et répulsion, entre mouvement et équilibre, tension discrète mais puissante.