« Persona grata », une exposition d’actualité

« Persona grata », une exposition d’actualité
Lahouari Mohammed Bakir, "Persona Grata", 2016. Néon, 13 x 50 cm. Collection Musée national de l’histoire de l’immigration. Photo Aurélien Mole. © Adagp, Paris 2018.
À voir

À l’heure où l’Europe, traversée par les flux migratoires, se divise sur la position à adopter face à l’accélération du phénomène, le Musée national de l’histoire de l’immigration donne la voix aux artistes contemporains. Le titre choisi, Persona grata, locution latine signifiant « personne bienvenue » mais portant en creux son antonyme plus usuel « persona non grata », résume le projet de l’exposition : interroger simultanément l’hospitalité et l’hostilité. 

Sous la direction des deux commissaires d’exposition Anne-Laure Flacelière (chargée de l’étude et du développement de la collection du MAC VAL) et Isabelle Renard (en charge du service des collections et des expositions du Musée national de l’histoire de l’immigration) épaulées pour l’occasion des philosophes Fabienne Brugère et Guillaume le Blanc (auteurs du livre La fin de l’hospitalité L’Europe, terre d’asile ? Flammarion, 2017), l’exposition se déploie en cinq chapitres qui dressent le portrait d’un monde divisé entre l’accueil et le rejet. D’un côté les murs et les camps instaurés par les états, de l’autre une mobilisation citoyenne qui porte secours.

Les œuvres interrogent les différentes facettes de l’immigration. Tout d’abord, les conditions de circulation des personnes qui décident de quitter leur « chez-soi » dans l’espoir d’un avenir meilleur sur une terre inconnue. Des conditions difficiles à l’image de l’œuvre Le bateau Kriegsschatz de Sarkis. Ici l’image d’un immense cargo peint en noir se confronte à la fragile réalité d’une maquette de chalutier. Le grand bateau couvert d’une peinture épaisse et dense pourrait être le lieu de la protection mais, comme toute image, il possède plusieurs interprétations. Il est possible aussi qu’il engloutisse la petite embarcation sous son ombre ou encore que les deux navires se croisent sans se rencontrer.

Sarkis, « Le bateau Kriegsschatz », 2007. Contreplaqué peint, ampoules et câbles électriques, maquette ancienne de bateau en bois, 700 x 510 x 70 cm. Collection MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne. Acquis avec la participation du FRAM Île-de-France. Photo © Jacques faujour. © Adagp, Paris 2018

 

Après le voyage, l’exposition explore le désenchantement des personnes condamnées à l’invisibilité, tenues dans des non-lieux hors du monde commun. Des camps et des jungles qui trouvent leur justification dans la peur que suscite la différence. C’est cette notion d’altérité qu’interroge l’œuvre Me and I de l’artiste Xie Lei. Une huile sur toile qui représente deux personnages dans une forêt désertée, deux silhouettes imprécises, une qui semble sur le point de s’inventer quand l’autre est près de disparaître. Une même personne dédoublée entre passé et futur qui donne toute sa complexité à la figure trop nette de l’autre.

Mais au-delà de l’errance et de la répression, l’exposition aborde les actions de sollicitude. C’est le tapis, objet chaleureux par excellence de l’artiste Eléanore False qui suggère ces attitudes. Intitulé No division, il met en scène une main qui se déploie et recouvre partiellement une surface dont les motifs évoquent les vagues de l’océan. La main tendue annihile la distance, elle fait lien entre deux espaces pour ne former qu’un seul tissus. Car si l’hospitalité relève du secours aux personnes en détresse, elle est aussi accueil de ce que ces personnes peuvent apporter ; c’est tout le sens de la double acception du mot « hôte » qui en français désigne l’accueillant tout autant que l’accueilli.

Eléanore False, « No division No cut », 2016. Laine, teinture, tissage, Collection de l’artiste. © Guillermo Rosas

 

Au secours doit donc succéder un réel accueil concret et durable, des lieux de vivre ensemble dont les artistes traitent également dans leurs œuvres. Ainsi, la vidéo Streamside Day de Pierre Huygue met en scène la naissance d’une communauté, des personnes qui se regroupent pour fêter l’avènement de leur association. Mais le documentaire se transforme petit à petit en récit fantastique ; dans ce lieu qui semble hors du temps, l’évènement se transforme en rituel. Dans un monde qui change, faire communauté est une répétition permanente, l’hospitalité, un dispositif précaire à l’image de cette fête faite de décors en carton-pâte et de ballons à l’existence éphémère.

Enfin, quelles que soient les modalités de l’hospitalité, l’enracinement dans une autre culture est toujours difficile, même pour ceux qui la désirent. En ballottement entre sa culture d’origine et celle de son pays d’accueil, la personne immigrée est encore de là-bas et déjà d’ici. Des allers-retours que souligne la vidéo de Zineb Sedira intitulée MiddleSea. Au milieu de la mer, donc, entre deux régions du monde, un homme marche à l’intérieur d’un bateau. Est-il sur le départ ? Est-il sur le retour ? Nous ne le savons pas. C’est un homme qui chemine à l’intérieur de lui-même dans un décor qu’aucune frontière artificielle ne vient limiter.

Zineb Sedira, « MiddleSea », 2008. Vidéo, couleurs, son, 19’ Collection MNHI. ©Adagp, Paris, 2018

 

La mer, motif artistique par excellence, parcourt l’ensemble de cette exposition visible jusqu’au 20 janvier. Regroupant des œuvres d’artistes de toutes nationalités, donnant voix aux personnes qui accueillent comme à celles qui sont accueillies, elle met en scène l’ouverture et la coopération. Les œuvres métaphoriques et poétiques n’imposent pas un discours unique, elles se laissent interpréter. Fruits de différents regards et sensibilités, simples constats ou critiques engagées, elles s’associent néanmoins contre l’indifférence.