Pour cette nouvelle thématique d’Art Critique, Adrien Abline donne la parole à des artistes entretenant une relation tumultueuse au rituel de l’exposition. Ils ont fait le choix d’en produire, d’en scénariser ou de penser leurs œuvres comme telles. À eux maintenant, de revenir sur une exposition marquante (pour de multiples raisons) et de répondre à la question : qu’est-ce qu’une bonne expo ? Son invitée aujourd’hui est l’artiste Enzo Roulleau-Bret.
« La bonne exposition, je crois, est celle dont on dit qu’elle est marquante, si tant est que ce soit là l’objectif, ou, du moins, ce vers quoi chaque artiste est censé tendre. Pour moi, cela se résume souvent à des rétrospectives. Non pas dans le fantasme d’un artiste « accompli », figé dans le passé, mais plutôt dans l’intérêt que je trouve à suivre une pratique à travers le temps.
À l’heure des expositions collectives « de commissaire » qui offrent des assemblages d’œuvres individuelles souvent réduites à illustrer un thème, un texte, un titre, je m’interroge : Pouvons-nous réduire une pratique artistique à une production de son auteur ? Vous savez : ce projet réalisé ici, pour ce lieu, dans ce cadre, en lien avec telle institution et en réponse à cet appel à projets ? Et, soyons honnêtes, rares sont les occasions de se retrouver face à une rétrospective monographique couvrant les 3, 5 ou 10 dernières années d’un jeune artiste ou même d’un artiste vivant.
Je reste à jamais marqué par l’entrée d’une rétrospective de Rembrandt au Rijksmuseum, où se trouvait un petit autoportrait placé sur la gauche. Ce n’était que le début d’une exposition immense, mais le choc était déjà là. Je crois n’avoir jamais été autant saisi, en entrant dans un espace. Peut-être seulement en arrivant au sommet de la tribune de la Johan Cruyff Arena, ou à la première vue de la pelouse du San Siro après l’ascension de sa tour en colimaçon sans fin. J’associe par exemple ma rencontre avec l’œuvre de Bernard Buffet au Musée d’Art Moderne de Paris en 2016 à l’intensité d’un soir de Ligue des Champions au Parc des Princes, pour un PSG-Naples.
Je cours après l’exposition que je vivrai comme un match, un événement. Non pas comme un spectacle à consommer, ni un simple divertissement, mais bien comme un moment rare. Un privilège, avec ce sentiment d’être chanceux d’être là, précisément à cet instant.
En parlant d’exposition marquante et d’œuvre située, je repense au Portrait de la journaliste Sylvia von Harden d’Otto Dix, toujours accroché dans la collection permanente du Centre Pompidou. Cette peinture m’offre systématiquement ce choc.
Elle est, à vrai dire, la raison de ma pratique de la peinture. Et je suis heureux de ne toujours pas comprendre pourquoi celle-là. C’est sans doute l’œuvre la plus efficace sur moi. C’est peut-être cela, une bonne œuvre. De même qu’une bonne exposition sera sans doute celle qui me donnera envie de faire. »
© Cécile Schuhmann – Musée des beaux-arts de Caen, Courtesy of Enzo Roulleau-Bret
Artiste peintre, Enzo Roulleau-Bret appréhende la peinture comme le sujet même de sa recherche et non comme un outil. Il travaille la peinture comme il éprouve le sport : résider est un entraînement, ses expositions aux scénographies immersives sont des invitations aux publics, devenus supporters, à exprimer leur ferveur.
Il a notamment présenté son travail à Hoxton Arches (Londres 2021), à l’Atelier Alain Lebras (Nantes, 2023), à l’Usine Utopik (Normandie, 2024) et à la Casa Degli Artisti (Milan, 2024) avec l’Institut Français. En 2024, Enzo est lauréat de la Bourse Impulsion (Rouen). Pour le Millénaire de Caen 2025, il a présenté une installation de peinture sur le stade de Rocquancourt. Et il vient de profiter d’une résidence de création au cœur du Rc Flers programmé par 2angles, dans un vestiaire devenu atelier.
Si vous aussi, vous souhaitez contribuer au dossier « Qu’est-ce qu’une bonne expo? », les modalités de l’appel à projet sont à lire ici.
