Gestern wie heute

Gestern wie heute
Burak, © Said Baalbaki, Berlin, 2023, Gesterrn wie heute, Kunstverein Tiergarten
À voir

Le Musée comme l’Histoire, le Musée garant d’une certaine Histoire, nous donne à voir des artéfacts qui modulent notre perception du monde, du passé, de ce qui a été. L’exposition « Gestern wie Heute » (« Hier comme aujourd’hui ») témoigne, entre autres, de l’importance des musées – de ses musées – dans le parcours artistique de Said Baalbaki.

L’artiste, qui a quitté Beyrouth pour Berlin en 2002, sait combien le passé est élusif, lui qui a recréé, entre autres, le bras manquant de la statue de la Place des Martyrs à Beyrouth, une sublime sculpture en bronze, trouée par les balles. La critique des reconstitutions muséales du passé, cependant, il ne l’aborde pas de front, mais de biais : en inventant de toutes pièces, avec malice, patience, minutie, avec amour aussi, une Histoire à lui, celle du Burak, le cheval ailé qui amena Mohamed de la Mecque à Jérusalem et qui, attaché au Mur des Lamentations, lui donna son nom de Mur du Burak.

 

Burak, © Said Baalbaki, Berlin, 2023, Gesterrn wie heute, Kunstverein Tiergarten

 

Dans cette exposition anniversaire qu’est « Hier comme aujourd’hui », présentée tout à gauche dans l’espace longiligne de la Galerie Nord / Kunstverein Tiergarten dans le quartier arabe de Berlin, le Moabit où Said Baalbaki habite depuis son arrivée à Berlin, tout est là, dans neuf vitrines délicatement peintes en gris-turquoise, sur fond de tapisserie de satin bleu : l’anatomie détaillée du cheval ailé, dessinée, puis reconstituée en squelettes anatomiques fidèles ; la correspondance des archéologues qui se sont longuement penchés sur la question du cheval ailé et de ses voyages à travers le temps, des objets aussi, des bijoux… Le cabinet de curiosités de Said Baalbaki est si véridique que certains visiteurs, même avertis, s’y méprennent – « mais c’est de l’archéologie ! Quel rapport avec l’art contemporain ? »

 

Heap (Tas), huile sur toile, 110 x 110cm, 2020, © Said Baalbaki

 

Poursuivant ses recherches – car Said Baalbaki est un chercheur – l’artiste installe, à l’opposé dans l’espace du Kunstverein Tiergarten, un autre musée qui vise cette fois-ci à rendre à une existence non pas imaginaire, mais réelle, la place qui lui revient dans l’Histoire de l’art : l’existence en question, c’est celle de Yussuf Abbo, que Said Balbaaki baptise « Le Prince sans patrie » — à moins que ce Prince, ce ne soit lui-même ? C’est la troisième exposition que Said Baalbaki consacre à l’artiste juif, arabe, de Palestine, né en 1888 à Safed, arrivé en Allemagne en 1911, qui connut un succès certain dans les milieux intellectuels et artistiques allemands de l’époque avant de devoir s’exiler en Angleterre, non sans laisser derrière lui nombre de ses œuvres et, une fois en Angleterre, devoir en détruire d’autres par manque de place de stockage. Said Baalbaki possède aujourd’hui dans sa collection personnelle une centaine d’œuvres de Yussuf Abbo, qu’il expose avec dévotion : le musée très personnel de Said rend à Yussuf une existence artistique, au point que les descendants d’Abbo viennent nombreux au vernissage…

Entre ces deux pendants de « Gestern wie heute », Said Baalbaki s’expose aussi lui-même : le sublime bras, ses célèbres peintures de valises, de nouvelles sculptures, et puis ce néon, qui signe l’exposition et la position politique de l’artiste : « Das Geld ist der Kot des Satans » (L’argent est la m… de Satan). L’argent, c’est aussi le charbon (Kohle signifie argent en argot), ce charbon qu’utilise l’artiste pour représenter des lieux dédiés aux diverses religions du monde. Point d’orgue.

 

Das Geld ist der Kot des Satans, © Said Baalbaki, Berlin, 2023, Gesterrn wie heute, Kunstverein Tiergarten

 

Exposition à voir jusqu’au 8 avril.

Commissaire : Veronika Witte.